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Cryptozoologie
okapi
 
 

L'okapi
(Okapia johnstoni Sclater 1901)

(dernière mise à jour : 29 janvier 2018)

 

Zoologie

Nom commun : okapi
Nom scientifique : Okapia johnstoni
Classe : mammifères
Ordre : artiodactyles
Famille : Giraffidés
Taille : 2 m de long et 1,5 m de hauteur au garrot
Poids :
200 à 300 kg
Habitat : forêts humides du Congo
Régime alimentaire : herbivore
(phyllophage : mangeur de feuilles)
Longévité : environ 20 ans

Description :
L'okapi est un mammifère quadrupède à la croupe en pente. La tête porte de grosses oreilles et, chez le mâle, une paire de petites cornes (ossicones) recouvertes de peau. La couleur est brun foncé, tirant sur le roussâtre, plus claire sur la tête. Les membres antérieurs et les cuisses portent des zébrures blanches et noires qui jouent un rôle dans le camouflage de l'animal. La queue se termine par une touffe. Comme la girafe, l'okapi possède une langue préhensile avec laquelle il saisit les feuilles dont il se nourrit.

 

 

Historique de la découverte de l'okapi

    L'histoire de la découverte de l'okapi est riche d'enseignements pour la cryptozoologie, et c'est en fait l'une de ses plus belles victoires, puisque le processus de découverte, comme on le verra, est passé par des traditions indigènes, puis des témoignages circonstanciés, puis des pièces anatomiques fragmentaires, puis des crânes, et enfin l'animal complet.

 

Le makapi de Wilhelm Junker et le ndumba d'Emin Pascha

    Le plus ancien rapport mentionnant l'existence de l'okapi est généralement méconnu de la plupart des auteurs qui ont relaté plus ou moins brièvement l'historique de la découverte de ce mammifère. L'explorateur russo-allemand Wilhelm Junker vit en 1878 ou 1879, dans le district de Nepo, la peau d'un mammifère inconnu dont l'identité fait peu de doute, comme il apparaît à la lecture de son ouvrage Reisen in Afrika (voyages en Afrique), publié en 1891 :

    "Très remarquable et nouvelle pour cette région de l'Afrique centrale, était une peau que je reçus alors. Il lui manquait malheureusement le cou et les pattes, de sorte qu'au début j'étais dans le doute  sur son identification. La taille était celle de la peau d'une antilope pygmée, cependant la robe colorée réfutait immédiatement une telle supposition. Elle était en effet brun-rougeâtre, avec l'extrémité des poils noirs et des rayures blanches du cou jusqu'aux flancs.
    "L'animal doit avoir une distribution très restreinte, habitant plus précisément la région marécageuse des Ngobbu et des Dakko ; il serait souvent observé dans ces marécages, accroupi  sur les pattes de devant. Et en effet, au bas des pattes antérieures, il y avait des callosités bien visibles, ce qui corroborait les observations. Seuls bien peu d'A-Sandé [Azandé] connaissaient l'animal, et l'appelaient makapi."

    Junker croyait qu'il s'agissait de la peau d'un grand chevrotain, distinct du chevrotain aquatique (Hyemoschus aquaticus) (figure 1). Il est clair qu'il s'agissait en réalité de l'okapi, comme l'indique son nom très proche de makapi, mais aussi la couleur brun-rougeâtre aux rayures blanches caractéristiques de la robe. Incidemment, Junker prenait l'arrière-train de l'animal pour l'avant ("le cou"), erreur compréhensible sur la peau d'un animal à la robe aussi insolite.


Figure 1 : chevrotain aquatique

    Quant à l'attitude de l'animal "accroupi sur les pattes de devant" (en fait accroupi à quatre pattes), elle est fréquente chez l'okapi, et elle a même été observée très tôt dans l'histoire de la découverte de l'espèce, puisque l'expédition Herbert Lang au Congo belge (1909-1915) prit des photographies en noir et blanc d'okapis dans cette posture, qu'adoptent d'ailleurs également les girafes.

    Un autre rapport précoce, également méconnu, est dû au médecin, naturaliste et explorateur prussien Eduard Schnitzer, dit Emin Pascha. Son journal, publié en 1919 par Franz Stuhlmann, évoque déjà l'okapi dès juin 1883 :

"Le zèbre ou au moins un cheval rayé se rencontre dans la région ; on l’appelle ndumba."

    Dans une lettre au zoologiste Gustav Hartlaub datée du 4 juillet 1883, il fut plus précis dans sa description, qui ne laisse aucun doute sur l'identité de l'animal concerné :

    "Dans le pays Mabode, où de vastes plaines interviennent dans la forêt, on dit qu'un animal semblable à un zèbre est commun, dont les raies sont limitées aux pattes. Les Mangbettu l'appellent dumba. Des peaux m'ont été promises, mais pas données à ce jour."

 

L'âne mangeur de feuilles de Stanley

    Henry Morton Stanley (figure 2), correspondant du New York Herald, est passé à la postérité pour une phrase restée célèbre. Parti en Afrique centrale à la recherche de David Livingstone, le journaliste et explorateur finit par le trouver après des mois de péripéties, et l'aborda avec cette question à l'humour subtil très british : "doctor Livingstone, I presume..." (docteur Livingstone, je présume). Pour en apprécier toute la finesse, il faut rappeler qu'à cette époque, Stanley et Livingstone étaient les seuls Européens à des centaines de miles à la ronde...


Figure 2 : Henry M. Stanley

    Dans le récit de ses aventures In darkest Africa (1890), qui inspira le romancier Joseph Conrad (Heart of darkness) et donc indirectement Francis Ford Coppola pour son film Apocalypse now, Stanley fit une très brève allusion à un animal mystérieux, dont il entendit parler par les Pygmées de la forêt de l'Ituri, lors de son expédition au Congo belge de l'époque, en 1883 :

    "Les Wambutti connaissaient un âne et l'appelaient "atti". Ils disent qu'ils en attrapent quelquefois dans des fosses. Ce que ces ânes trouvent à manger est une merveille. Ils mangent des feuilles."

    Voilà qui était surprenant, puisque les seuls équidés connus au Congo sont les zèbres, qui sont des animaux de savane, ne s'aventurant jamais en forêt humide. C'est d'ailleurs le cas de toutes les espèces d'équidés (chevaux, ânes, onagres, zèbres, etc.), dont pas une seule n'est adaptée à la forêt.
    Cette simple mention allait toutefois convaincre Sir Harry Johnston, le gouverneur de l'Ouganda, de partir en 1899 à la recherche de ce grand mammifère inconnu.

    Alors que ce passage du livre de Stanley est très souvent cité dans l'histoire de la découverte de l'okapi, une autre allusion significative, à peine deux pages plus loin, semble être passée inaperçue de la plupart des chercheurs. Stanley y dresse un tableau comparatif de quelques mots dans diverses langues de forêt et de savane, et notamment s'agissant de l'âne :

anglais Ku-mbutti ou Bakwa
Forêt
Bakiokwa ou Bakumu
Forêt
donkey [âne] atti makabo

    On notera que le makabo ressemble beaucoup, phonétiquement, au makapi de Junker, et donc à l'okapi (m'okapi). Les informateurs de Stanley, qui n'avaient jamais vu d'âne de leur vie, et même d'Européen d'ailleurs, avaient à l'évidence trouvé une ressemblance dans les ânes utilisés par l'explorateur pour porter des charges, avec l'animal qu'ils chassaient dans leurs forêts : un grand quadrupède de la taille d'un âne, à la tête allongée, et aux longues oreilles.

 

Un drôle de zèbre et une histoire belge...

    Entre-temps, d'autres rapports survinrent, qui n'eurent pas le même retentissement que celui de Stanley. Vers 1891, Franz Stuhlmann, traversant la vallée de la Semliki, vit un morceau de peau rayée utilisée comme ceinture, dont il crut à tort qu'elle provenait d'un zèbre. Cette information était confirmée par le grand explorateur Georg Schweinfurth, qui affirmait que les Pygmées de la forêt de l'Ituri, qu'il avait découverts en 1869, portaient des ceintures faites avec la peau d'un animal rayé encore inconnu.

    D'autres témoignages ne furent généralement exhumés qu'après la découverte de l'okapi. C'est ainsi qu'en 1897, un employé de l'administration belge au Congo fournit à ses supérieurs la description d'un animal appelé ndumbe par les Momvu, qui le rapprochaient des antilopes :

    "De taille supérieure au buffle, tête noire, le cou et le corps brun marron, arrière-train zébré par des raies noires et blanches. Ces raies forment des anneaux sur les quatre membres. La queue est longue de 50 centimètres et se termine par une touffe de poils. Elle a les formes gracieuses et arrondies du zèbre. Sa chair est excellente." (Forsyth Major 1902)

    La description est parfaite jusque dans les moindres détails, et se rapporte sans conteste à l'okapi, et même le nom de ndumbe coïncide avec le ndumba ou dumba d'Emin Pascha. Hélas, elle resta dans les archives de la bureaucratie administrative.
    Une semblable inertie allait se reproduire deux ans plus tard, privant les Belges d'une découverte zoologique sensationnelle. En 1899, M. E. Vincart, lieutenant au service de l'État du Congo, obtint en effet une bande de peau d'okapi dans le pays Mangbettu (3° de latitude Nord, 28° de longitude Est), où, d'après son rapport, seuls les chefs avaient le droit de porter ce genre d'ornements ; elle fut envoyée, avec d'autres curiosités locales, à l'abbaye de Maredsous en Belgique en décembre 1899, où l'on ne se rendit pas compte de son importance scientifique (une véritable histoire belge !). Ce n'est qu'un an après la description scientifique de l'okapi, que le zoologiste belgo-britannique George Albert Boulenger l'exhiba devant la Zoological Society de Londres, lors de la séance du 3 juin 1902.

 

L'antilope-âne-girafon du capitaine Marchand

    Un rapport important a été publié en 1905 par le zoologiste Auguste Ménégaux, d'après le témoignage du capitaine Jean-Baptiste Marchand (figure 3), qui commanda la mission Congo-Nil à la fin du dix-neuvième siècle. Le 16 juin 1898, se trouvant sur un lac dans la région marécageuse du Bahr-el-Ghazal, Marchand nota ce qui suit dans son journal :

    "Les tirailleurs de garde à la première embarcation signalent presque aussitôt parmi le troupeau d'antilopes aperçues tout à l'heure un individu absolument différent des autres, de formes, de robe, et d'allures tout à fait anormales pour l'espèce et pour la région. Je ne me rappelle pas avoir jamais rien vu de semblable en Afrique. J'ordonne à la flottille d'arrêter son mouvement, et, muni d'une carabine, je passe dans une pirogue légère au moyen de laquelle je vais essayer d'approcher assez de l'étrange animal pour pouvoir le capturer. J'ai l'intuition que l'histoire naturelle pourrait être intéressée au succès de ma tentative."


Figure 3 : Jean-Baptiste Marchand

    L'officier ne put s'approcher à moins de 200 m de l'animal, du fait de la nature marécageuse du terrain, mais il put tout de même l'examiner soigneusement à l'aide de sa lunette d'approche :

    "Il est grand ! beaucoup plus grand que les autres — 1 m. 50 au moins au garrot. La couleur de la robe, particularité la plus frappante à première vue, est franchement roux feu, avec des taches blanches au poitrail que je découvre mal d'ici.
    "N'était une paire d'oreilles énormes, grisâtres à reflets, drôlement découpées, et que tout à l'heure j'ai failli prendre pour des cornes de mouflon du Cachemire, on pourrait se croire, pour la forme générale, en présence de l'âne svelte de la région voisine d'Abyssinie : le zèbre. Mais, par la forme baudruchée du mufle et de la tête ainsi que par la présence de deux curieuses petites cornes ou protubérances au sommet, il rappelle aussi la petite girafe. A coup sûr, cette variété d'antilope — si antilope il y a — est encore inconnue et non décrite dans les collections naturalistes. Elle paraît même étrangère au troupeau des autres antilopes qu'elle accompagne plus qu'elle n'en fait partie. Elle est aussi plus méfiante et plus ombrageuse."

    Pour Ménégaux, il est clair que l'animal observé par le capitaine Marchand, qui le qualifie très significativement du nom de "antilope-âne-girafon", est un okapi, dont l'explorateur français a décrit avec énormément de justesse les caractéristiques spécifiques les plus manifestes : la ressemblance avec l'âne et le girafon, la taille, la couleur roussâtre, les grandes oreilles, et même les ossicones, ne laissant aucun doute sur l'identité de l'animal observé. Du reste, quand en 1905, Auguste Ménégaux publia un article sur l'okapi dans la Revue des Idées, montrant un spécimen naturalisé d'okapi exposé au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris, Jean-Baptiste Marchand, devenu entretemps colonel, reconnut aussitôt l'animal qu'il avait observé au Bahr-el-Ghazal sept ans auparavant. Ainsi, Marchand fut certainement le premier Européen à voir un okapi vivant, et cet exploit eut lieu non seulement trois ans avant l'entrée officielle de l'animal dans la zoologie, mais encore en dehors de l'aire de répartition habituelle de l'espèce.

    Hélas, en 1898, la communauté zoologique n'eut pas connaissance de ce témoignage pourtant si précis. Il est vrai qu'en France, on s'intéressait davantage à l'époque à l'affaire Dreyfus, mais aussi à une autre péripétie de la mission, connue sous le nom de "l'incident de Fachoda", qui faillit entraîner la France dans une guerre contre l'Angleterre : ayant établi un fortin à Fachoda (aujourd'hui Kodok, dans le sud du Soudan), sur les bords du Nil, en juillet 1898, la colonne Marchand, avec ses 250 tirailleurs sénégalais, fut en effet contrainte de se retirer quelques semaines plus tard sous l'ultimatum de l'Anglais Kitchener et de ses 20 000 hommes, laissant ainsi le Soudan à "la perfide Albion". Quant au capitaine Marchand, sa carrière militaire l'amena au grade de général de division, et ironie de l'histoire, il s'illustra dans la guerre de 1914-18, aux côtés de ses nouveaux alliés britanniques...

 

Sir Harry Johnston sur la piste de l'okapi

    Justement, c'est à un Anglais que revient l'honneur de la découverte zoologique de l'okapi. Restant seul en course pour la chasse au mammifère inconnu, sir Harry Johnston, alors gouverneur de l'Ouganda, mena durant des mois d'investigations une minutieuse enquête cryptozoologique avant l'heure, sur la seule foi de la note du livre de Stanley. Il obtint de nouvelles informations sur l'animal mystérieux des Pygmées du Congo, que l'on exhibait comme des bêtes de foire à l'Exposition Universelle de Paris de 1900 (et que Johnston reconduisit heureusement dans leur forêt natale) :

    "Ils comprirent sur-le-champ ce que je voulais dire, et, désignant une peau de zèbre et une mule vivante, ils m'informèrent que la créature en question, qui était appelée okapi, ressemblait à une mule ornée de raies de zèbre."

    Okapi ou o-api était en fait le nom indigène de l'animal, que Stanley avait transcrit en atti.

    A Mbéni, Johnston obtint des informations supplémentaires : l'animal fréquentait les régions les plus profondes de la forêt, se rencontrait souvent en couples, et possédait des bandes brunâtres sur le ventre (il apparaîtra plus tard que c'est en réalité sur la croupe) et sur les pattes (ce qui est parfaitement exact). Les colons belges ajoutaient qu'il avait une tête très longue et "très effilée" (en français dans le texte), et purent procurer à Johnston deux fragments de peau de l'animal (figures 4a et 4b), servant de ceinture à cartouchière à un soldat congolais, et présentant les zébrures caractéristiques.


Figure 4a : fragments de peau d'okapi
(d'après Sclater 1901)

Figure 4b : les mêmes fragments de peau d'okapi,
conservés au Natural History Museum of London
(photo Natural History Museum of London)

    L'animal fut décrit en 1901 à partir de cette peau par Sclater comme une nouvelle espèce de mammifère sous le nom d'Equus (?) johnstoni, un zèbre forestier supposé. Pourtant, Johnston avait aussi relevé des traces de pas que les Pygmées attribuaient à l'okapi, et elles révélaient deux doigts, alors que les équidés actuels, dont les zèbres, n'en ont qu'un seul : il y eut alors quelques spéculations sur une antilope inconnue, ou même un équidé primitif ayant conservé deux doigts.

    Mais peu après, Johnston put se procurer une peau plus complète, et surtout deux crânes du mystérieux mammifère, dont l'étude démontra qu'il s'agissait en fait d'un animal apparenté aux girafes, et dont le nom scientifique fut en conséquence rectifié par Lankester en Okapia johnstoni. Johnston fit même une reconstitution de l'okapi d'après ces pièces anatomiques encore fragmentaires, dans un dessin en couleurs dont l'exactitude s'avéra remarquable par la suite (figure 5).


Figure 5 : reconstitution de l'okapi par Sir Harry Johnston
(tiré des Proceedings of the Zoological Society, 1901)

    Les études ultérieures, sur de nouveaux restes osseux comme sur l'animal vivant, confirmèrent l'appartenance de l'okapi à la famille des giraffidés.

    Ce n'est qu'en 1918 que les premiers spécimens vivants parvinrent dans des zoos européens.

 

L'okapi connu des Perses ?

    A Persépolis, en Iran, le palais d'Apadana comporte un immense bas-relief. Il représente des délégations des peuples soumis à l'empire perse, venant apporter le tribut au roi Xerxès le Grand (mort en 465 avant J.C.) : des poteries, des œuvres d'art en métal, mais aussi des animaux. La précision des sculptures est telle qu'on identifie sans hésiter les animaux en question, ainsi que l'origine des délégations. On reconnaît ainsi un bélier des plaines de Cilicie, un dromadaire amené par des Arabes, un âne sauvage amené par un Indien, un chameau amené par des Bactriens, une lionne conduite par un Élamite, des taureaux d'Arménie, une antilope de Scythie, des chevaux de Cappadoce...
    Un groupe de quatre personnes nous intéresse plus particulièrement. Il s'agit d'un Perse ouvrant le chemin de la délégation, suivi de trois hommes de petite taille (en comparaison du Perse), aux traits négroïdes : cheveux crépus, nez épaté, lèvres épaisses. De plus, ils sont barbus, ce qui, ajouté aux traits déjà relevés, semble bien indiquer qu'il s'agit de Pygmées. Le dernier d'entre eux semble porter sur son épaule une défense d'éléphant, ce qui confirmerait encore l'origine africaine (les archéologues disent souvent "éthiopienne" ou plutôt "nubienne") de la délégation, bien que cette "défense" semble munie d'une poignée et a donc tout l'air d'être un sabre ! Le même personnage tient en laisse un animal (figures 6a et 6b) qui a donné lieu à de nombreuses spéculations.


Figures 6a et 6b : l'animal de Persépolis et détail

    Dans son ouvrage sur Persépolis, l'archéologue Erich Schmidt (1953) cite le paléontologue Bryan Patterson, pour qui l'animal représenté est bien un okapi.
    C'était également l'avis du mammalogiste Bernhard Grzimek, dans une lettre à Burchard Brentjes (1964), et de l'historien de la zoologie Willy Ley (1968, 1971).

    Steven Anderson (1969) notait lui aussi la ressemblance générale avec l'okapi, mais également des différences au niveau des oreilles, et la taille trop faible pour un adulte. Si l'on considère que les "Éthiopiens" mesurent 1,40 à 1,50 m comme la plupart des Pygmées (taille qui est corroborée par celle des autres personnages), on en déduit que l'animal en laisse ne mesure qu'environ 1 m au garrot, et non pas 1,50 m comme un okapi adulte. Le paléontologue américain Edwin H. Colbert, à qui Anderson avait demandé son avis, estimait pourtant qu'il s'agissait bien d'un okapi, et non d'un giraffidé fossile tel que le Paleotragus, comme Anderson le lui avait suggéré.

    L'hypothèse d'un okapi a été reprise par Oliver Hampe (2001), et défendue sur le plan anatomique, mais aussi géographique et historique : à cette époque, l'Égypte était sous domination perse, et nous savons par ailleurs que les Pygmées étaient connus de l'Égypte pharaonique, puisqu'ils sont représentés avec justesse dans l'art égyptien. De plus, il y a 2500 ans, la forêt équatoriale africaine était certainement plus étendue qu'elle ne l'est aujourd'hui, et l'aire de répartition de l'okapi était sans doute plus large : du reste, l'observation du capitaine Marchand au Bahr-el-Ghazal témoigne de cette extension géographique ancienne.

    D'autres auteurs identifient l'animal à une girafe, comme Afshar, Dutz et Taylor (1974), pour qui le long cou de ce ruminant aurait été coupé par l'artiste qui n'aurait pas eu le compas dans l'œil : s'apercevant trop tard des dimensions restreintes du bas-relief, il aurait été contraint de raccourcir le cou de l'animal — hypothèse très invraisemblable, quand on voit la précision des sculptures sur l'ensemble du site.

    Burchard Brentjes (1964), puis Raul Valdez et Robert Tuck, ont estimé de leur côté qu'il s'agissait du nilgau ou nilgaut (Boselaphus tragocamelus), un grand bovidé de l'Inde (figure 7), facile à domestiquer, ce qui expliquerait que l'animal de Persépolis soit tenu en laisse ; mais alors pourquoi serait-il amené par une délégation "éthiopienne" ou "nubienne", alors que toutes les autres présentent leurs productions ou curiosités régionales ? Le nilgau possède également une touffe de poils très caractéristique sur la face antérieure du cou, qui est totalement absente sur la sculpture perse.


Figure 7 : nilgau (Boselaphus tragocamelus)

    Reprenons donc les divers éléments visibles sur le bas-relief pour lever le doute sur l'identité de l'animal.
    L'animal est manifestement de taille modeste, environ 1 m au garrot, et s'il s'agit effectivement d'un okapi, c'est donc un individu juvénile (la remarque vaut également pour le nilgau, dont le mâle adulte mesure 1,50 m au garrot).
    Qu'il s'agisse d'un jeune giraffidé semble confirmé par la présence d'une courte crinière dressée, qui descend derrière le cou de l'animal, exactement comme chez la girafe... ou le jeune okapi.
    C'est évidemment un mâle, comme l'atteste le scrotum, que l'artiste a représenté, ainsi que les cornes, que ce soit celles d'un giraffidé ou d'un nilgau.

    Un dernier détail capital semble avoir échappé à tous les commentateurs : l'animal de Persépolis est clairement représenté allant l'amble. Dans ce mode de progression, les deux pattes situées du même côté du corps se déplacent ensemble, et c'est exactement ce que l'on remarque sur la sculpture perse. On retrouve cette très rare façon de marcher chez l'ours, mais aussi et surtout chez les giraffidés actuels (girafe et okapi).

    Il semble donc établi que l'animal conduit par la délégation "nubienne", représenté sur un bas-relief de Persépolis près de 500 ans avant notre ère, est bien un jeune okapi.

caractéristiques Persépolis okapi girafe nilgau
cou bref + + - +
crinière + + (jeune) + -
dos en pente + + + -
touffe de poils sur le cou - - - +
va l'amble + + + -

 

Bibliographie

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