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DES CŒLACANTHES INCONNUS ?
par Michel Raynal

(dernière mise à jour : 05 mars 2004)

 

    Les océans, qui couvrent plus de 70 % de notre planète, abritent de nombreuses espèces animales encore inconnues de la science, y compris des poissons. Chaque année, on décrit en effet plusieurs dizaines d'espèces nouvelles de poissons, parfois de très grande taille, comme cela a été démontré en 1976 par la découverte d'un nouveau requin mangeur de plancton : long de près de 4,50 mètres, il avait été surnommé d'emblée Megamouth ("grande gueule") avant d'être décrit et baptisé scientifiquement sept ans plus tard, sous le nom de Megachasma pelagios.

    Mais, s'agissant toujours des poissons, une des plus spectaculaire découvertes du vingtième siècle reste certainement celle du cœlacanthe.

 

Le premier cœlacanthe

    Le 22 décembre 1938, au large de la côte sud-africaine, près de l'embouchure de la rivière Chalumna (à quelques kilomètres de la ville d'East London), le chalutier Nerine du capitaine Hendrik Goosen remonta un gros poisson d'aspect étrange, capturé dans les filets de son chalutier, la Nerine, d'une profondeur de quelque 40 brasses (70 mètres). Il y avait eu une remontée d'eau froide (ce que les océanographes appellent un upwelling), et des requins abyssaux avaient également été pêchés à cette profondeur inhabituellement faible.
   Le poisson en question, pourtant, était toujours vivant au moment où on avait remonté les filets, au point qu'il avait essayé de mordre le capitaine Goosen ! La créature était d'une couleur bleu métallique, avait près de 1,50 m de long et pesait presque 60 Kg. Ses traits les plus saillants étaient sa queue trilobée et ses nageoires pédonculées.

    Miss Marjorie Courtenay-Latimer, taxidermiste à l'East London Museum, naturalisa le poisson mais fut incapable de l'identifier. Elle en fit un dessin (figure 1), qu'elle envoya au professeur J. L. B. Smith, ichtyologiste (spécialiste des poissons) à la Cecil Rhodes University à Grahamstown (Afrique du Sud) : il reconnut au premier coup d'œil qu'il s'agissait d'un poisson appartenant au groupe des crossoptérygiens, et plus précisément à l'ordre des cœlacanthiformes, supposé éteint depuis des dizaines de millions d'années ! Les paléontologues estiment en général que les crossoptérygiens ont donné naissance aux premiers vertébrés tétrapodes (à 4 pattes).


Figure 1 : le premier cœlacanthe,
dessiné par miss Courtenay-Latimer (d'après Smith 1956).

    L'étude ultérieure du spécimen d'East London, très abîmé, confirma J. L. B. Smith dans son diagnostic initial, et il le décrivit en 1939 dans le prestigieux hebdomadaire britannique Nature (figure 2). A ce véritable "fossile vivant" appartenant à un groupe supposé éteint depuis l'ère secondaire, Smith donna le nom scientifique de Latimeria chalumnae, en l'honneur de Miss Marjorie Courtenay-Latimer et en référence au lieu de la capture.


Figure 2 : le premier cœlacanthe
(d'après Smith 1939).

 

La recherche de l'habitat du Latimeria chalumnae

    Le professeur Smith essaya alors d'obtenir une deuxième spécimen de Latimeria. Certains avaient une réponse facile : il devait vivre dans les abysses, ce qui "expliquait" qu'on n'en ait pas trouvé de fossiles depuis tant de millions d'années. Certains allaient même jusqu'à prétendre que ce devait être un vrai fossile miraculeusement préservé dans la boue ! Ou encore, que ce n'était qu'un mérou... Aucune de ces personnes -- des scientifiques, pourtant -- ne se donna la peine de venir étudier le spécimen : lorsqu'un fait nouveau dérange les idées reçues, il est plus rassurant pour un esprit peu ouvert à l'inattendu de le nier que de l'étudier. Comme l'écrivit par la suite Smith dans son livre Old Fourlegs (1956) :

    "L'idée que le cœlacanthe puisse vivre dans les profondeurs m'a toujours semblé inexplicable, car lorsque j'ai regardé ce poisson pour la première fois, il m'a dit aussi clairement que s'il pouvait parler : "Regardez ces dures écailles qui me font une armure ; elles se recouvrent si bien qu'elles bardent tout mon corps d'une triple épaisseur. Regardez ma tête osseuse et mes nageoires épineuses. Je suis si bien protégé qu'aucune roche ne peut me blesser. Naturellement, je vis dans des zones rocheuses, au milieu des récifs, sous les vagues et près de la surface et, croyez-moi, je suis un "dur" qui n'a peur de rien dans la mer. La vase molle des grands fonds n'est pas pour moi. Ma couleur bleue à elle seule apprend que je ne peux venir des grandes profondeurs : vous n'y trouvez aucun poisson bleu. Je ne peux nager à grande vitesse, sinon sur une courte distance ; je n'en ai pas besoin car, jaillissant d'une cachette appropriée au milieu des rochers ou d'une crevasse, je peux bondir si rapidement sur toute créature qui passe qu'il ne lui reste aucun espoir." (Smith 1956)

    J. L. B. Smith essaya alors de monter une expédition, tout en faisant distribuer des milliers de tracts imprimés en anglais, en français et en portugais, avec la photographie du spécimen d'East London, le long des côtes de l'Afrique du Sud et du Mozambique, promettant une récompense de 100 livres sterling, à qui fournirait un second cœlacanthe, mort ou vif (figure 3). Smith penchait pour un habitat localisé dans le Canal du Mozambique, entre Madagascar et la côte africaine, riche en îles volcaniques au relief propice à ce poisson, d'après ses déductions.


Figure 3 : tract offrant une récompense
(d'après Smith 1956).

    Cette diffusion de tracts suscita au moins un témoignage dans cette zone, comme l'a raconté Smith lui-même dans son livre Old Fourlegs en 1956 :

    "En 1948 je rencontrai un indigène de la région de Bazaruto au Mozambique, qui avait reconnu ce poisson aussitôt. Oui, il avait jadis attrapé un poisson étrange comme celui-là, un soir dans le canal profond au sud de l'île de Bazaruto, mais il n'avait ni vu ni entendu parler d'un autre avant ou depuis. Dans l'eau il était comme un gros Garrupa, mais quand il le sortit les grosses écailles et les nageoires si particulières s'étaient imprimées dans sa mémoire comme uniques. Il parla de sa richesse en graisse, de la chair molle, et de l'absence d'os, choses dont il n'aurait rien pu savoir sauf à partir d'un vrai spécimen. Il ne pouvait dire si la queue était identique, mais elle était assez proche." (Smith 1956)

    Smith en vint à la conclusion que l'espèce devait vivre au large des Comores, un archipel volcanique (alors français) de l'Océan Indien, et que le premier spécimen (ainsi d'ailleurs que celui de Bazaruto) n'était qu'un individu égaré de son aire de répartition habituelle. Un des contacts de Smith résidant aux Comores, du nom de Eric Hunt, se mit en devoir d'obtenir un nouveau cœlacanthe.

    Un deuxième spécimen fut effectivement pêché le 20 décembre 1952, au large de l'île d'Anjouan, de l'archipel des Comores, et, grâce aux efforts de Hunt, il put être conservé pour étude (figure 4). Il fut à nouveau décrit dans Nature en 1953 par J. L. B. Smith sous le nom de Malania anjouanae, en hommage au premier ministre sud-africain d'alors, le docteur Malan, mais il s'avéra par la suite que ce nouveau cœlacanthe appartenait en fait à la même espèce que le premier spécimen.


Figure 4 : J. L. B. Smith et le deuxième cœlacanthe
(d'après Smith 1956).

    Pour l'anecdote, ce deuxième spécimen provoqua quelques tiraillements politiques et scientifiques entre la France (dont les Comores étaient alors une possession) et l'Afrique du Sud, chacun revendiquant la propriété du spécimen...

    Depuis 1952, quelque 300 spécimens ont été capturés au large des Comores, et plus précisément au large de deux îles de cet archipel, Anjouan et Grande Comore, pour la plupart entre 100 et 300 mètres de profondeur : l'habitat du cœlacanthe a donc été découvert grâce à une méthode typiquement cryptozoologique, l'appel à témoins.
    Plus significatif encore pour la cryptozoologie, il apparut que ce poisson était connu des pêcheurs indigènes : chaque année, ils prenaient déjà un ou deux cœlacanthes avant même 1952 ; ils l'appelaient M'tsamboïdoï ou plus commodément Kombessa (ou Gombessa). Et d'après Smith, non seulement ils le mangeaient à l'occasion, mais ils utilisaient ses écailles hérissées de piquants comme de râpes pour les chambres à air de bicyclette avant d'y coller une rustine après une crevaison ! C'était peut-être une découverte pour la science occidentale, mais certainement pas pour les pêcheurs comoriens eux-mêmes...  Toutefois, Millot (1954) a mis en doute cette anecdote :

    "SMITH n'ayant pu rester que quelques heures dans l'archipel, a cru un peu rapidement que les Comoriens connaissaient bien les Cœlacanthes : « the natives know the Cœlacanth well », écrit-il (1953 a). « Well », au moins, est de trop... En fait, jusqu'en 1952, ils le confondirent, sous le nom de Gombessa, avec d'autres Poissons, en particulier avec des Labridés, tels Epibulus insidiator ou Cheilinus undulatus et, comme je l'ai écrit plus haut, ils ont, à plusieurs reprises, dérangé les autorités de l'île pour des espèces toutes différentes des Cœlacanthes. Dans certains des plus importants centres de pêcheurs anjouanais où je me suis rendu pour enquête, jamais de mémoire d'homme un de ces Poissons n'a encore été vu. Quant à l'anecdote pittoresque (SMITH, 1953 b, p. 257) d'écailles de Cœlacanthes utilisées comme râpe pour la réparation des pneus de bicyclettes, je me permets d'être sceptique. J'ai parcouru l'île (où les bicyclettes sont d'ailleurs fort rares... ) sans y trouver une seule des dites écailles, et ce sont des fragments de peau de Raies ou de Requins que les autochtones utilisent éventuellement comme râpe. Il y a aux Comores, comme partout, des mystificateurs..."

 

 

Le cœlacanthe connu des Moghols ?

    En 1972, Burchard Brentjes, un Berlinois de ce qui était alors la RDA, spécialiste de l'art antique passionné par l'histoire de la zoologie, a même essayé de démontrer une "pré-découverte" du cœlacanthe des Comores par les Indiens Moghols. Le chercheur est-allemand se basait sur une représentation artistique du début du dix-huitième siècle, sur une miniature indienne de Lucknow (figures 5 et 6). Elle dépeint un religieux musulman, Khodsha Khadir, debout sur un grand poisson : comme ce dernier représente environ environ les trois-quarts de la hauteur de l'homme, il doit mesurer dans les 1,20 m de long, compatible avec celle du cœlacanthe.

"Ce poisson montre des caractéristiques étranges, que l'on ne trouve que chez Latimeria chalumnae, telles que les quatre nageoires ventrales paires et la nageoire pédonculée comme seconde nageoire dorsale. La première nageoire dorsale est quelque peu déplacée vers l'avant, pour faire de la place pour le Saint Homme." (Brentjes 1972).

  
Figures 5 et 6: miniature indienne et détail (d'après Brentjes 1972)

   Brentjes soulignait que les navigateurs indiens avaient atteint l'Afrique du Sud dès le dixième siècle, et qu'ils possédaient des comptoirs au Mozambique. Les empereurs Indiens Moghol étaient amateurs d'animaux exotiques, comme le démontre une autre miniature indienne de 1625, représentant un dodo de l'île Maurice (un gros oiseau aptère, maintenant éteint). Il ne serait donc pas surprenant, concluait Brentjes, que les Indiens aient eu connaissance de l'existence du cœlacanthe des Comores, ou même d'individus égarés dans le Canal du Mozambique, ainsi qu'on l'a vu.
   Pourtant, en dépit de cette brillante démonstration, l'identification de ce poisson comme un cœlacanthe n'est pas totalement convaincante, car la queue ne semble pas être trilobée, pour autant qu'on puisse en juger sur la reproduction publiée par Burchard Brentjes. Selon François de Sarre, le poisson représenté serait un Anabas testudineus.

    Si les Moghols n'ont donc probablement pas connu le cœlacanthe, on a quand même suggéré qu'il existe une représentation ancienne du "poisson à pattes" en un lieu indirectement lié à l'Inde, bien qu'assez insolite pour ce type de document historique et zoologique. Sur le portail en bois du Château du Cos d'Estournel (un des grands vins du Bordelais), l'ichtyologue japonais Yoshitaka Abe (2003) a cru pouvoir en effet vérifier la présence d'un cœlacanthe sculpté. Cette représentation est en fait moins insolite qu'il n'y paraît au premier abord, car ce portail ornait le palais du sultan de Zanzibar (une île de l'océan Indien, non loin des Comores), et il fut acquis vers 1845 par le premier propriétaire du vignoble, Louis-Gaspard d'Estournel. Sa passion pour l'Orient, et notamment pour l'Inde des maharadjas, où il exportait déjà son vin, se retrouve d'ailleurs dans la décoration très baroque du château, avec ses tours en forme de pagodes et ses sculptures d'éléphants et autres animaux exotiques.
    Il semblait donc possible qu'un pêcheur de Zanzibar ait capturé vers 1840 un cœlacanthe aux Comores (ou ailleurs dans l'océan Indien, puisque nous verrons que l'aire de répartition est beaucoup moins limitée que ce que l'on a cru très longtemps), et que ce poisson a fait l'objet d'une représentation artistique pour le palais du sultan de Zanzibar, plus d'un siècle avant la découverte "officielle" de l'espèce.
    Pour en avoir le cœur net, j'ai contacté Géraldine Marquay, chargée des relations publiques pour le château Cos d'Estournel, qui m'a aimablement envoyé plusieurs photographies du portail et des prétendus "cœlacanthes" : il s'agit en réalité de représentations du makara de la mythologie hindoue, un monstre marin composite à tête d'éléphant, corps de poisson et pattes atrophiées (figures 7 et 8), ce qui renforce d'ailleurs ce que nous savions déjà de la passion pour l'Inde du premier propriétaire.


Figure 7 : détail du portail du château du Cos d'Estournel (photo Géraldine Marquay)

 


Figure 8 : le makara de la mythologie hindoue

 

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