(dernière mise à jour : 29 juillet 2013)

 

Expéditions tchèques

    L’essentiel de nos connaissances sur l’olgoï-khorkhoï nous vient toutefois d’un chercheur tchèque, Ivan Mackerle, qui a publié plusieurs articles sur le "ver" maléfique du désert de Gobi. Trois d’entre eux ont paru en Occident, dans le Faithist Journal en 1992, dans World Explorer en 1994 et encore tout récemment dans la revue fortéenne américaine Fate en juin 1996 ; et plusieurs autres ont été publiés en Tchécoslovaquie (ou en république tchèque, depuis la sécession de la Slovaquie). Auparavant, Ivan Mackerle s’était intéressé à des sujets aussi divers et sulfureux que le monstre du Loch Ness, les OVNI ou les vampires.
    Le point de départ de cette nouvelle enquête fut pour Mackerle une conversation avec une étudiante mongole, à qui il fit part de ses plongées dans le Loch Ness, à la recherche du célèbre monstre aquatique écossais. Elle lui fit alors cette étonnante confidence :

"Nous aussi, nous avons une horrible créature qui vit en Mongolie. Nous appelons le monstre Allghoi khorkhoi, et il vit enfoui dans les dunes de sable du désert de Gobi. Il peut tuer un homme, un cheval, et même un chameau."

    Intrigué par cette information, Ivan Mackerle se mit alors à interroger les Mongols sur la créature en question, mais, à sa grande surprise, ils n’étaient pas du tout désireux de lui faire part de leurs connaissances à ce sujet, comme s’ils craignaient d’en parler.
    Mackerle, suivant en cela un des préceptes de la recherche cryptozoologique définis par Bernard Heuvelmans (1988), se mit en devoir de passer au crible la littérature d’exploration de la Mongolie, dans l’espoir d’y trouver une mention du monstre -- hélas, sans beaucoup de succès, puisqu’il ne trouva dans un premier temps que 2 des références que nous venons d’étudier : Roy Chapman Andrews (1932) et Ivan Efrémov (1958). A l’issue de recherches bibliographiques intenses, j’ai pu enrichir notablement la documentation, comme on le verra à la fin de cet article, mais il n’en demeure pas moins que la littérature sur le sujet n’est guère abondante : Andrews et Efrémov sont parmi les rares Occidentaux à avoir signalé l’animal, pour autant que je sache. Et au surplus, une bonne part de cette rare littérature est peu accessible et pour le moins difficilement traduisible (voir les remerciements en fin d’article !). Je peux d’ailleurs mentionner ici une anecdote révélatrice, que m’a confiée tout récemment Bernard Heuvelmans : à la suite de la parution de l’édition américaine de son livre Sur la piste des bêtes ignorées (On the track of unknown animals, 1958), il reçut en mai 1960 une première lettre d’un biochimiste de Chicago, Roy P. Mackal (devenu depuis lors vice-président de l'International Society of Cryptozoology, dont Bernard Heuvelmans est le président), qui lui signalait le récit de fiction d’Efrémov que j’ai repris plus haut, en se demandant s’il se basait sur une légende locale. Et jusqu’à ce que je me plonge dans ce sujet il y a quelques mois, la lettre de Mackal était pratiquement la seule information sur l’olgoï-khorkhoï dont disposait le père de la cryptozoologie !

    La raison de ce mutisme presque total des autochtones sur l’olgoï-khorkhoï, et du fait que presque aucun explorateur n’en ait jamais entendu parler, fut donnée à Ivan Mackerle par Tschemed, son interprète et conducteur :

"Les bergers du désert de Gobi refusent d’en parler. Ils craignent que la seule prononciation de son nom puisse amener le mauvais sort sur eux."

    Selon Mackerle, d’autres raisons s’ajoutaient à cette superstition pour expliquer l’incognito de la créature : tout d’abord, la Mongolie est toujours restée un pays très fermé aux Occidentaux. Jusqu’à récemment, tout voyage y était sévèrement encadré par les accompagnateurs obligés de l’office touristique Joultchine, l’équivalent mongol de l’Intourist soviétique, et il était impossible de sortir des sentiers battus. Il n’y avait pas de transports publics, et du reste pas de réseau routier non plus, alors que le pays est immense : 1 560 000 Km2, soit près de trois fois la France, pour une population de quelque 2 millions d’habitants seulement, soit à peine plus d’un habitant au kilomètre carré. Bien sûr la densité de population du désert de Gobi lui-même est encore plus faible ; c’est le plus grand des déserts d’Asie (1 295 000 Km2, s’étendant sur la république de Mongolie mais aussi la région chinoise de Mongolie Intérieure), la pluviosité annuelle n’atteint que 200 mm à l’est, et 75 mm à l’ouest, et le climat continental explique des écarts de températures considérables entre l’été (+ 50° C en juillet) et l’hiver (jusqu'à – 40° C en janvier). Enfin, les autorités cherchaient à extirper toute trace de culture mongole non conforme aux canons du marxisme-léninisme, et le régime stalinien en place ne voyait pas d’un bon œil toute allusion à l’animal mythique, regardée comme un reste de superstition héritée du régime féodal...
    En 1990, la Mongolie s’ouvrit enfin, à la suite de l’effondrement de la dictature communiste au pouvoir, mettant un terme à la vague déferlante des révolutions démocratiques de 1989-1990, qui emportèrent, de Berlin à Ulan-Bator, presque tous les régimes affiliés à l’URSS. Ivan Mackerle profita de cette opportunité politique pour organiser une expédition à la recherche de l’animal mystérieux. Comme l’aventurier tchèque le fait très justement remarquer, ce ne serait pas la première fois qu’une légende mènerait à une découverte zoologique spectaculaire : et de citer notamment le précédent du dragon de Komodo (Varanus komodoensis), le plus gros varan connu, découvert seulement en 1912.
    Les débuts de l’expédition s’apparentèrent, pour Mackerle, à un jeu de cache-cache : les jeunes ne savaient rien, tandis que les vieux refusaient de parler ; les habitants de Dalandzadgad affirmaient qu’on pouvait trouver l’animal à Khanbogd, mais à Khanbogd on disait qu’il fallait chercher à Dalandzadgad !

    Finalement, Tschemed dit à Mackerle que leur guide, Khamgalagu, était au courant d’un cas où un olgoï-khorkhoï avait décimé une famille entière. Le guide finit par sortir de son mutisme, sans doute enhardi par la chaleur de l’âtre et plus encore d’une bouteille d’artchi, la vodka mongole...

"D’abord, Khamgalagu dit seulement que le ver tueur ressemble beaucoup à un intestin de vache, d’où son nom de "ver intestin". Il nous dit qu’il avait une couleur rouge sombre, comme du sang ou du salami, et qu’il est difficile de différencier sa tête de sa queue car il n’a ni yeux, ni narines, ni bouche visibles. La créature se déplaçait également de façon étrange -- soit elle roulait soit elle se tortillait latéralement, balayant son chemin. Et elle aimait la couleur jaune."

    Le guide expliqua (en attaquant une deuxième bouteille !) que cette attirance pour le jaune aurait été fatale à un garçon qui avait pris l’habitude d’entasser ses jouets dans une boîte de cette couleur, au fond de la yourte familiale. Un olgoï-khorkhoï s’y introduisit, et lorsque le garçon le toucha pour saisir un de ses jouets, il mourut. Quand ses parents, qui s’étaient absentés, revinrent à la yourte, ils ne trouvèrent que la trace ondulante du ver. Réalisant ce qui avait dû se passer, ils suivirent les traces, mais l’olgoï-khorkhoï les tua également.
    Mais comment le "ver-intestin" tue-t-il ses victimes ? Sur ce point, les informateurs de Mackerle ne s’accordaient pas entre eux : poison violent selon les uns... ou courant électrique, selon d’autres ! Sugi rapportait notamment que lorsqu’il était enfant, des géologues dans le Gobi avaient attisé un feu avec une barre d’acier, et lorsque l’un d’eux enfonça la barre dans le sable, il tomba raide mort sur le coup. A la suite de quoi, un énorme ver gras émergea du sable.

    Yanjindgin Mahgaljav, de Dalandzadgad, raconta que dans les années 60, il avait vu le "ver" tuer un troupeau entier de chameaux au sud de Noyon.

    Le gardien de chameaux Jamiandorjin Tseden, originaire des environs de Noyon, aurait vu l’olgoï-khorkhoï, mais Mackerle ne put retrouver ce témoin. Par contre une vieille femme nommée Puret reçut Mackerle et ses compagnons dans sa yourte, et elle finit par se laisser aller à quelques confidences :

"Je n’ai personnellement jamais vu l’allghoi khorkhoi, mais j’en ai beaucoup entendu parler. On dit qu’il se déplace sous le sable et que quand il veut tuer quelqu’un, il sort la moitié de son corps hors du sable. Quand il commence à gonfler, la bulle à son extrémité grandit et à la fin le poison en jaillit.
"Tout ce qui entre en contact avec cette substance, même le métal, semble avoir été corrodé par quelque acide et jaunit immédiatement. Mais le poison perd de sa puissance en été, à partir de la fin de juin, de sorte que rencontrer ce ver dangereux à cette époque ne se termine pas toujours par la mort."

    Ce caractère corrosif n’est pas sans évoquer l’abomination Alien, le huitième passager, le film de science-fiction de Ridley Scott ; mais ai-je besoin de dire que celui-ci est inconnu au fin fond de la Mongolie ? Ivan Mackerle émet pour sa part une hypothèse intéressante : ayant remarqué que l’olgoï-khorkhoï fréquente les lieux où pousse le goyo (Cynomorium songaricum), dont les racines contiennent un poison végétal, il se demande si le ver ne pourrait pas utiliser cette plante pour fabriquer sa substance mortelle.
    La vieille femme confirma l’incident du troupeau de chameaux tués dans les années 60, précisant qu’ils évitent le ver avec nervosité. Elle ajoutait que l’olgoï-khorkhoï paraît très rarement, en général après une pluie (ce qui, on s’en doute, n’arrive pas souvent dans cette région). Il lézarde alors quelques jours au soleil, avant de disparaître à nouveau.

    Le dernier jour de son expédition, Mackerle put trouver un témoin oculaire, une vieille femme de 70 ans originaire de Gurvantes, vivant retirée à Oulan-Bator, la capitale :

"J’ai vu le ver quand j’étais petite [...]. Il était rouge sombre, d’environ un demi-mètre de long et il était comme réduit à des points aux deux extrémités. Il était étendu sur le sable et quand je commençai à bouger, je réalisai que c’était un allghoi khorkhoi. Mes parents m’avaient toujours prévenu qu’il peut faire gicler le poison à une distance équivalente à la largeur d’une yourte à 5 segments, c’est pourquoi je pris la fuite."

    Pour tâcher de capturer l’olgoï-khorkhoï, Ivan Mackerle avait d’abord songé à utiliser des charges explosives souterraines ou des champs électriques qui l’auraient contraint à émerger du sable. L’autorisation d’un transport aérien d’explosifs, fût-ce dans un but scientifique, n’étant pas des plus faciles à obtenir, Mackerle ne put procéder qu’à quelques explosions, qui furent sans effet quant au dépistage de l’olgoï-khorkhoï (si tant est qu’il y en eût dans les parages).
    Il eut alors recours à un autre stratagème tout aussi ingénieux, dont il eut l’inspiration en se remémorant le célèbre space opera (ou devrais-je dire spice opera ?) de l’écrivain américain Frank Herbert, Dune -- décidément, après Indiana Jones, Ivan Efrémov et Ridley Scott, sans parler du "ver-intestin" lui-même, nous nageons en pleine science-fiction !
    Pour les non-initiés, précisons que Dune, gigantesque saga mystico-écologique s’étendant sur plusieurs volumes, a pour cadre une planète couverte de vastes déserts, Arrakis, plus connue sous le nom de Dune. Cette planète désolée est cependant capitale pour l’empire galactique, car c’est la seule de l’univers où l’on trouve l’épice (spice en anglais), une substance qui prolonge la vie, étend le champ de la conscience, et peut recourber l’espace, permettant ainsi les voyages interstellaires. L’épice est une sécrétion produite par des vers gigantesques, appelés shai-hulud, vivent dans les sables du désert profond d’Arrakis. Paul Atreides, le héros de la saga, va rallier à lui les habitants de Dune, les Fremen, adaptés à cet environnement hostile, et il en deviendra le maître après avoir écrasé ses ennemis Harkonnen. Ce sont les Fremen qui enseigneront à Paul comment dompter les vers des sables, en les attirant avec un appareil appelé thumper (marteleur), qui émet des vibrations dans le sable, simulant un pas humain. Pour plus de détails, j’invite les fans de "S.F." à se reporter à l’œuvre de Frank Herbert (dont s’est d’ailleurs très nettement inspiré George Lucas pour son film Starwars, La guerre des étoiles), et au film de David Lynch (1984), qui a essayé de la traduire tant bien que mal en images hautement baroques.
    Fermons cette longue parenthèse littéraire et cinématographique, et revenons à Ivan Mackerle, qui utilisa donc une sorte de thumper du pauvre, en frappant un rondin de bois contre le sol, dans l’espoir d’attirer le ver des sables du cru. Cette méthode ne donna hélas pas plus de résultats que les précédentes, et Mackerle ne revint de Mongolie qu’avec les témoignages que nous avons passés en revue.

    Toutefois, une autre expédition tchèque effectuée au cours de l’été 1996 par deux amis d’Ivan Mackerle, Naplava et Horky, a recueilli de nouveaux rapports, y compris venant de témoins oculaires ayant observé l’animal récemment. Un film sur cette expédition a d’ailleurs été diffusé par la télévision tchèque.

    Pour terminer, je dois signaler que mon excellent collègue et ami cryptozoologue anglais Karl P. N. Shuker a publié plusieurs articles sur le dossier du "ver tueur", notamment dans la revue fortéenne Strange Magazine (1995), et tout récemment dans Uri Geller’s Encounters (1997). Après avoir cité Andrews (1926) et Mackerle (1994), il se livrait à quelques spéculations sur l’identité du monstre, sur laquelle nous allons bientôt nous étendre.

    Auparavant, je dois mentionner que selon des informations obtenues récemment, l’animal serait également connu au Kazakhstan (un pays limitrophe de la Mongolie).

    Marie-Jeanne Koffmann, présidente de la Société Russe de Cryptozoologie, ancien chirurgien des hôpitaux de Moscou, m’a également confié des rapports inédits recueillis dans le Caucase. En effet, Marie-Jeanne Koffmann ne s’est pas seulement intéressée à l’almasty, l’Homme Sauvage et Velu du Caucase, sur lequel elle a amassé une quantité d’informations impressionnante. On lui doit aussi des recherches de terrain sur d’autres animaux mystérieux de cette région. Voici ce que m’écrivait Marie-Jeanne dans sa lettre du 6 janvier 1997 :

"L’olgoï khorkhoï est la première bête qui nous est venue à l’esprit, à mes compagnons (Evelyne Zéligman et Pavel Ryjov) et moi-même, lors d’un périple de 1500 Km que nous avions entrepris en été 197? [date non retrouvée] à travers les steppes et les déserts de dunes de Kalmykie et du nord de la Tchétchéno-Ingouchie et du Daghestan en quête de grands serpents et de varans. [...]
"Nous entendîmes décrire d’autres "serpents", tout à fait inattendus, notamment une sorte d’énorme saucisse qui s’appelle en kalmyk "le court serpent gras", dont l’une des caractéristiques premières était "qu’il était sans os". Seuls, s’en souvenaient les vieux Kalmyks. Personne ne l’avait revu depuis le retour de la déportation, vers 1960, après 12-13 ans d’absence de tout un peuple. D’ailleurs, il avait toujours été rare.
"Description : corps uniformément cylindrique, arrondi par devant, se terminant brusquement par une queue très courte. Longueur 50 cm, diamètre 15-20 cm, peau lisse, grise. Très dangereux selon les uns, inoffensif selon les autres.
"Je ne me souviens pas si ses déplacements étaient rapides ou lents. Plutôt lents, je crois ; en tout cas, rectilignes, en accordéon.
"Tous les informateurs (rares) étaient unanimes sur un point : si on lui assenait un violent coup de bâton en plein dos, comme l’a vu faire par son père l’un de nos témoins, il éclatait, ne laissant pour tout vestige de son existence qu’une grande tache de graisse s’étalant sur plus d’un mètre de diamètre.
"Un autre reptile, de semblable configuration, mais plus petit des deux tiers, ne disposait pas de queue, ressemblait effectivement à un amphisbène, si ce n’est qu’on distinguait bien la bouche fendant fendant largement sa partie antérieure. Une femme, une Russe, perchée sur une échelle pour cueillir des fruits, avait aperçu cette bête, glissant silencieusement (seules, craquelaient légèrement les feuilles mortes) et très vite dans le fond d’un fossé. Elle tenait un rat en travers de sa bouche.
"Malheureusement, tous mes amis et compagnons de travail désapprouvaient totalement mon intérêt pour d’autres sujets que l’almasty, à commencer par Porchnev qui en était désespéré et suppliait nos collègues de me ramener sur le droit chemin !
"[...] Pire encore. Les notes, adresses, croquis, cartes avec localisation des observations, noms des habitants -- tout a été détruit lors de la mise à sac de mon bureau, à Sarmakovo."

    C’est en effet une perte regrettable, mais les détails retenus par Marie-Jeanne n’en sont pas moins significatifs. Bien que la forme générale de ces "courts serpents gras" évoque celle de l’olgoï-khorkhoï de Mongolie, divers caractères les opposent : la couleur, la peau nue, l’épaisseur considérable, chez l’une des deux formes, et la netteté de la bouche chez l’autre.

 

Analyse cryptozoologique

    Tel est donc, à ce jour, l’état du dossier de l’olgoï-khorkhoï, le "ver-intestin" du désert de Gobi.
Si nous reprenons de manière synthétique l’ensemble des rapports disponibles (en laissant provisoirement de côté les rapports venus du Caucase), le portrait-robot (figure 4) qui se dégage fait apparaître un animal vermiforme de 50 à 60 cm de long selon la majorité des rapports, et dont on ne distingue pas la tête de la queue (la tête, la bouche, les yeux, les narines et les oreilles étant indistincts -- si tant est qu’il en possède). Le corps est qualifié d’épais ou de gras : il est comparé à une saucisse ou un saucisson, ou à la largeur du poignet, et le nom vernaculaire de l’animal, olgoï-khorkhoï ("ver-intestin"), est inspiré de cette particularité, puisque selon les dictionnaires russe-mongol et anglais-mongol que j’ai consultés, olgoï désigne effectivement le colon (gros intestin, par opposition à l’intestin grêle). La peau semble nue, mais le corps serait annelé si l’on en juge par les dessins d’Efrémov (1954) (figure 1) et de Mackerle (1996). La couleur est rouge sombre (comme du sang ou du salami). Ivan Efrémov parle d’une couleur beige dans son récit de cryptozoologie-fiction de 1954, mais l'illustration (figure 1) montre clairement une couleur rouge . L’animal vit sous terre, et ne se montre que l’été (juin et juillet), et reste enterré le reste du temps. Enfin, il est regardé comme terriblement mortel, au point de tuer à distance hommes et chameaux, sans qu’il y ait consensus sur l’origine de ce caractère fatal : présence d’un venin (que l’animal projetterait à plusieurs mètres) ou pouvoir électrique.


Figure 4 : portrait-robot de l'olgoï-khorkhoï,
établi sous les directives d'Ivan Mackerle. 

    Bernard Heuvelmans, dans une de ses lettres, m’a suggéré d’étudier la possibilité d’un lien avec le Tatzelwurm des Alpes, qui lui semblait le cas cryptozoologique le plus proche. Il y a certes une parenté mythique évidente entre les deux animaux (tous deux sont considérés comme mortels), mais pas de parenté zoologique manifeste. Prenons en effet en considération les données de Jakob Nicolussi (1933), même s’il y a quelques petites erreurs dans ses statistiques. Ce directeur d’école en retraite de Bolzano publia dans Der Schlern une étude synthétique à partir de 65 témoignages, qui lui permit d’établir un portrait-robot, d’ailleurs discutable, du Tatzelwurm (dont il fit un héloderme alpin, auquel il donna le nom d’Heloderma europaeum, une hypothèse hautement invraisemblable, ce groupe de lézards étant nord-américain). Si les conclusions de Nicolussi sont contestables, il n’en demeure pas moins que son article marque une étape dans l’histoire de la cryptozoologie, pour l’utilisation de la méthode statistique. De la synthèse faite par Nicolussi, on peut tirer ces quelques observations, utiles pour le présent dossier :

    1) Le Tatzelwurm a manifestement une tête bien distincte, quelle que soit la description qu’on en donne : "longue, aplatie" (cas 1, 3, 36, 46, 53, 63), "camuse" (2, 38), "large" (4, 23, 39, 50, 62), "ronde (de chat)" (5, 13, 15, 35, 40, 41, 42, 43, 54, 55, 57, 60), "de lézard" (24), "de serpent" (17, 22, 28, 37), "de salamandre" (25, 59), "difforme" (31, 64), "de chèvre" (20). Une seule fois Nicolussi trouve "pas de tête", et c’est le cas 45, justement l’allergorhai-horhai du Gobi décrit par Roy Chapman Andrews, soit 1 cas contre 35 ! De toute évidence, les Mongols sont confrontés à un animal déconcertant de ce point de vue.

    2) Nicolussi recense 15 cas avec 4 pattes, 32 cas avec 2 pattes antérieures, 1 seul cas avec 2 pattes postérieures et 7 cas sans pattes, et l’analyse de ces derniers est édifiante :
- cas 1 : "ils ne pouvaient rien percevoir des pieds".
- cas 8 : "les pattes étaient très petites ; la paysanne n’est pas en mesure d’indiquer si des pattes postérieures étaient également présentes" : Nicolussi s’est en fait trompé de catégorie !
- cas 36 : "ils ne remarquèrent pas de pattes, ou du moins ne se rappelèrent pas en avoir vu".
- cas 45 : no comment, c’est toujours notre "saucisse" du Gobi.
- cas 52 : "des pattes ne furent pas remarquées dans l’herbe".
- cas 55 : "des pieds n’ont pas été vus".
- cas 58 : "cou et pattes non aperçus".
Bref, il n’y a réellement que 5 cas sans pattes (au lieu de 7), mais qui tous peuvent très bien se rapporter à un animal muni de pattes qui n’ont pas été remarquées en raison des difficultés d’observation... Le Tatzelwurm mérite donc bien son nom vernaculaire ("ver à pattes" en patois allemand), par opposition à l’olgoï-khorkhoï ("ver-intestin").

    3) On peut également se baser sur les yeux (décrits 18 fois dans les Alpes, jamais en Mongolie), sur la bouche (vue 7 fois dans les Alpes) -- mais cela revient à confirmer que la tête du ver du Gobi ne se distingue guère du corps -- ou sur l’habitat : si l’inconnu des Alpes se cache souvent sous les éboulis de pierres ou dans des crevasses, celui du Gobi est une espèce authentiquement fouisseuse.

    En résumé, les deux "vers" en question sont très dissemblables, et sans doute non apparentés zoologiquement.

    Tâchons maintenant de définir les affinités zoologiques les plus probables de l’olgoï-khorkhoï, créature à première vue fantasmagorique.
    L’absence, au moins apparente, de pattes et de tête, peut suggérer qu’il s’agit d’un invertébré ; et du reste, l’animal n’est-il pas qualifié de "ver" ? C’est en tout cas l’idée qui semble s’imposer à Karl Shuker :

"Il est vrai que certains serpents sont souvent qualifiés de vers, mais à mon avis les descriptions de l’allergorhai-horhai suggèrent beaucoup plus une bête sans os au corps mou, qu’un animal vertébré contenant des os. Pourtant, s’il s’agit bien d’un invertébré, comment peut-il éviter la dessiccation, environné par les sables brûlants du Gobi ? Sans doute, comme les scorpions, les solifugidés et d’autres invertébrés vivant dans le désert, il est enfermé dans une cuticule retenant l’eau."

    Certaines chenilles ou larves d’insectes, par leur forme de ver épais, et quelquefois leur caractère venimeux, se rapprochent effectivement du portrait-robot que nous avons tracé. Mais aucune n’approche les 60 centimètres de longueur ; d’ailleurs, si une larve aussi monstrueuse existait, l’insecte en question ne devrait pas passer inaperçu... A l’inverse, si l’on connaît des vers aussi longs, et même plus (jusqu’à 3 mètres), que la taille prêtée au monstre du Gobi, c’est ici l’épaisseur qu’on lui prête qui fait problème.

    Les invertébrés étant donc écartés, il nous reste 5 classes de vertébrés à passer en revue : nous pouvons d’emblée éliminer les oiseaux, dont aucun ne ressemble, même de très loin, au monstre du Gobi. Et dans la foulée, nous pouvons rejeter les poissons et les batraciens : signalé dans les sables du Gobi, au cœur d’une des régions les plus arides de la planète (j’ai souligné plus haut la très faible pluviosité, et d’ailleurs Gobi veut dire "endroit sans eau" en mongol), l’olgoï-khorkhoï est de toute évidence un vertébré terrestre. Avec sa peau nue, il est peu probable qu’il s’agisse d’un mammifère, dont la plupart des espèces fouisseuses sont en effet couvertes de poils (voyez les taupes, par exemple) ; et surtout, si je puis me permettre ce jeu de mots, un mammifère apode, ça ne court pas les rues (l’absence des quatre membres étant inconnue chez les mammifères) !
    Ne restent donc plus que les reptiles...
    L’aspect serpentiforme de la créature, ainsi que son venin supposé, auraient tendance à nous orienter vers les serpents, mais ce serait sans doute à tort : le fait que la tête soit indistincte, s’inscrit en faux contre cette hypothèse.
    L’herpétologue belge Olivier Pauwels m’a cependant suggéré qu’il pouvait s’agir d’un serpent du genre Eryx, que les Anglo-Saxons appellent souvent sand boas (boas des sables), pour les raisons suivantes :

« Les Eryx sont fouisseurs et déserticoles. Leur queue est extrêmement courte, arrondie. Leur tête est plutôt pointue et peu distincte du corps, ainsi tête et queue peuvent être éventuellement confondues à distance. Ces serpents sont courts et épais, leur taille correspond à celle de l’olgoï-khorkhoï. Ce genre est déjà connu de Mongolie. Leur coloration est très variable et va du brun clair au rougeâtre. »

    La ressemblance est en effet frappante, mais il est à noter que les Mongols n’ont jamais comparé l’animal à un serpent, alors que les serpents abondent dans la région. Ils n’auraient pas manqué également de signaler la langue bifide, quitte à en rajouter sur les pouvoirs maléfiques du monstre. Enfin, j’ai examiné nombre de photographies de serpents du genre Eryx, et si leurs yeux sont parfois petits, ils sont toujours manifestes : c’est notamment le cas chez Eryx tataricus, qui vit en effet en Mongolie, mais qui est brun-jaunâtre, et non pas rouge (Sorensen 1988). Si l’olgoï-khorkhoï était à classer parmi les Erycinés, ce que je ne saurais exclure totalement, ce serait assurément une espèce nouvelle !
    Par contre, il existe en effet d’autres reptiles dont l’allure rappelle irrésistiblement celle, vermiforme, de notre protégé : ce sont dans une certaine mesure les anguidés (orvets), mais bien plus encore les amphisbéniens (amphisbènes). Les Anglo-Saxons appellent d’ailleurs ces derniers, de manière très significative, worm lizards ("lézards vers").
    Les amphisbéniens, dont on connaît environ 130 espèces, sont des reptiles si particuliers et si spécialisés qu’ils forment un sous-ordre de sauriens, et certains auteurs vont jusqu’à proposer d’en faire un ordre de reptiles à part entière, au même titre que les sauriens. Ce sont des reptiles authentiquement fouisseurs : alors que les vipères heurtantes, par exemple, se contentent de se recouvrir de sable, les amphisbéniens creusent littéralement de véritables galeries souterraines.
    Leur morphologie est des plus déconcertantes, et a fait l'objet d'études diverses, particulièrement de l'herpétologue américain Carl Gans, le meilleur spécialiste du groupe. Si le genre Bipes (comprenant trois espèces vivant au Mexique, et constituant à elles seules la famille des bipédidés) possède des membres antérieurs, tous les autres genres sont privés de pattes. Leur corps cylindrique, de couleur le plus souvent rougeâtre ou brunâtre, est annelé, et ressemble donc à un ver de terre.
    La tête est modifiée en forme de pelle, permettant à l’animal de fouir. La mandibule est enfoncée dans la mâchoire supérieure, alors que les yeux, souvent atrophiés, et les oreilles, sont dissimulés sous la peau. Chez certaines espèces, la queue est obtuse (camuse), au lieu de se terminer en pointe comme on pourrait s’y attendre. C’est pour toutes ces raisons que chez nombre d’espèces, il est très difficile de distinguer la tête de la queue, et celles-ci du tronc. Le nom d’amphisbène vient d’ailleurs d’une créature mythologique à deux têtes. Pour ajouter à la confusion, certaines espèces d’amphisbéniens ont l’habitude de remuer en même temps la tête et la queue, ce qui déconcerte les éventuels prédateurs, et certaines peuvent même se déplacer en marche arrière dans leurs galeries souterraines ! Ce n’est donc pas sans raison que les Brésiliens appellent ces reptiles cobras da dois cabeças (serpents à deux têtes).
    Certaines espèces d’amphisbéniens peuvent atteindre une longueur de 80 cm, soit l’ordre de grandeur de la taille prêtée à l’olgoï-khorkhoï, et il en est qui se caractérisent par leur épaisseur remarquable.
    De plus, leur mode de progression est unique parmi les vertébrés. Bernard Heuvelmans, dans son ouvrage Le Grand-Serpent-de-Mer (1965), a souligné que si les poissons, les reptiles et les batraciens serpentiformes progressent par ondulations dans le plan horizontal (et sont affublés d’une queue aplatie dans le plan vertical), les mammifères et les oiseaux quant à eux ondulent dans le plan vertical (et sont très logiquement dotés d’une queue horizontale). Cette différence biomécanique est en fait liée à la structure de leurs vertèbres. L’exception qui confirme la règle vient précisément des amphisbènes, qui ondulent en effet dans les deux plans de l’espace, en faisant onduler les écailles de leur peau, et c’est très exactement ce que disait Khamgalagu, un des informateurs de Mackerle : "la créature se déplaçait [...] de façon étrange -- soit elle roulait soit elle se tortillait latéralement, balayant son chemin". Les invraisemblables contorsions de l'olgoï-khorkhoï dans le portrait-robot qu'en a fait Ivan Mackerle (figure 4) se retrouvent en effet chez les amphisbéniens (figure 5).


Figure 5 : Trogonophis wiegmanni, un amphisbénien (photo Jacana).

    Les mœurs fouisseuses des amphisbéniens expliquent que ces reptiles soient très difficiles à observer, et leur découverte est des plus récentes. Linné n’en décrivait que deux espèces dans son Systema naturae, au milieu du dix-huitième siècle. Un siècle plus tard, on n’en connaissait qu’une dizaine de plus. La majorité des espèces actuellement répertoriées n’ont été décrites qu’à la fin du dix-neuvième, ou au début du vingtième siècle. Qu’un amphisbénien, peut-être même le plus grand du groupe, reste encore à découvrir, n’aurait rien de surprenant -- a fortiori dans le désert de Gobi, dont j’ai souligné les difficultés d’exploration.
    Mais, objectera-t-on, un amphisbénien en Mongolie, est-ce vraisemblable ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord étudier la répartition géographique des trois familles d’amphisbéniens que distinguent les herpétologues :
- les bipédidés : trois espèces pleurodontes du genre Bipes, dotées de pattes antérieures, et vivant au Mexique et en Basse-Californie. On peut donc exclure que le "ver-intestin" appartienne à ce groupe pour des raisons anatomiques (il est dépourvu de pattes antérieures caractéristiques de la famille au point de lui donner son nom) et zoogéographiques (l’aire de répartition des bipédidés se limite au Mexique).
- les amphisbénidés : environ 120 espèces pleurodontes : Amérique du Sud, Antilles, Mexique, Basse-Californie, Floride, Afrique (du Cap à l’Afrique de l’Ouest et à la Somalie), une espèce dans la péninsule ibérique et en Afrique du nord, et une espèce en Asie Mineure.
- les trogonophidés : 6 espèces acrodontes : Somalie, Afrique du Nord, péninsule arabique, Socotra, Iran.
    L’hypothèse d’un amphisbénien inconnu en Mongolie ne bouleverse donc pas les données de la zoogéographie, même s’il est vrai que la plus grande partie de l’Asie est (ou plutôt semble) dépourvue d’amphisbéniens : une "preuve" négative ne saurait avoir un caractère absolu, et la distance entre la Mongolie et l’Iran n’est pas incommensurable. Du reste, il semblerait que l’animal soit connu au Kazakhstan, ce qui réduit encore le hiatus zoogéographique. Si le "ver-intestin" est donc bien un amphisbénien, il a le plus de chance, statistiquement parlant, de faire partie des trogonophidés plutôt que des amphisbénidés.
    Du reste, s'il n'y a pas d'amphisbénien officiellement connu en Asie Centrale aujourd'hui, il n'en a pas toujours été ainsi.
- déjà, en 1991, Borsuk-Bialynicka mentionnait un amphisbénien fossile, non encore décrit à ce jour, dans un niveau maastrichtien (crétacé) de la formation de Barun Goyot en Mongolie.
- en 1993, Nessov et Gao ont identifié Hodzhakulia magma, un prétendu lézard du crétacé du désert de Kyzyl-Koum (Ouzbékistan), comme étant un amphisbénien.
- enfin, en 1993, un groupe de paléontologues comprenant notamment Xiao-Chun Wu, Donald B. Brinkman et Anthony P. Russell ont décrit sous le nom de Sineoamphisbaena hexatabularis un amphisbénien indiscutable, au squelette crânien et postcrânien bien préservé, découvert dans un niveau campanien (crétacé) de Bayan Mandahu, en Mongolie Intérieure (le nord de la Chine, près de la frontière avec la république de Mongolie).
    Il apparaît ainsi que l'origine des amphisbéniens, contrairement à toute attente, se situe en Asie Centrale, et non en Amérique comme on l'a toujours cru ! Voilà qui donne un nouveau crédit à l'hypothèse d'un amphisbénien mongol inconnu.

    Reste une dernière objection à prévenir : les amphisbéniens sont inoffensifs, aucune espèce n’a un quelconque pouvoir fatal comme celui attribué au "ver tueur" du Gobi. L’existence d’une espèce venimeuse d’amphisbénien n’est bien sûr pas impossible a priori, mais il est toutefois à noter que parmi les reptiles, hormis bien sûr le tiers des ophidiens (serpents), seules deux espèces de sauriens (lézards) sont venimeuses, toutes deux du genre Heloderma, et originaires de l’Amérique du Nord. Mackerle a suggéré que l’association du monstre avec une plante venimeuse pouvait expliquer cette incongruité : peut-être le simple contact des racines de cette plante avec le "ver-intestin" rend celui-ci mortel ? C’est en effet très possible, mais peut-être y a-t-il une autre explication.
    L’animal pourrait en effet être pourvu d’organes électriques, comme c’est le cas de nombre d’espèces de poissons. L’anguille électrique (Electrophorus electricus) peut produire un champ électrique de plus de 600 volts sous 1 ampère, qui peut déjà choquer sérieusement un être humain ou un gros animal. Les raies Narcine et Torpedo peuvent infliger des décharges de 50 à 60 volts sous 50 ampères, capables de tuer un homme. De tels organes pourraient donc se trouver chez notre "ver-intestin", pour tuer ses proies . On peut également songer à un dispositif d’électrolocation (repérage grâce aux variations du champ électrique), une méthode utilisée notamment par l’ornithorynque. Si bien que lorsque Roy Chapman Andrews voulait utiliser de "longues pinces en acier", ce qu’il tenait pour une boutade aurait pu se révéler suicidaire. Pourtant, l’air sec du Gobi est un piètre conducteur, et du reste les animaux électriques sont tous aquatiques.
    C’est pourquoi j’avance ici pour la première fois une autre explication, dont l'idée m'est venue en revoyant le film Dune de David Lynch, où les verts géants sont accompagnés de puissants éclairs électriques : il s'agit d'un phénomène, non pas physiologique, mais purement physique -- un banal phénomène de tribo-électricité, c’est-à-dire la production de charges électriques par frottement. On a pu en effet mettre en évidence que les serpents à sonnettes (crotales), par simple frottement avec un sol sec, sont capables d’atteindre des potentiels de 1000 Volts. Dans les sables arides du Gobi, un reptile fouisseur pourrait sans doute engendrer des potentiels au moins aussi élevés, sinon plus, susceptibles de choquer, voire de tuer, un être humain.
    A moins que l’explication ne soit infiniment plus simple. En fait, cette histoire de venin ou d’électricité empoisonne le dossier, si je puis me permettre ce jeu de mots un peu facile : c’est l’arbre qui cache la forêt, et les meilleurs cryptozoologues finissent par s’y laisser prendre. D’abord, les rapports sont fondés sur des "on-dit". Ensuite, ces rapports sont contradictoires : rien de commun entre le venin de l’un, les humeurs corrosives de l’autre, et la loi d’Ohm appliquée à un infortuné géologue d’un troisième ! On est donc tout naturellement fondé à envisager la possibilité que ces pouvoirs mortels soient totalement mythiques, d’autant plus que nombre d’animaux inconnus, ou tout simplement rares, sont considérés à tort comme mortels par l’imagination populaire. A ce propos, il faut noter que les amphisbènes (comme d’ailleurs les orvets) sont souvent soupçonnés d’être venimeux, alors qu’il n’en est rien : leur ressemblance avec les serpents n’est évidemment pas étrangère à cette croyance.

 
caractères
olgoï-khorkhoï
serpents
anguidés
vers
taupes
larves
amphisbéniens

aspect de ver

+
+
+
+
-
+
+

corps cylindrique

+
+
+
+
-
+
+

corps annelé

+
-
-
+
-
+/-
+

tête indistincte

+
-
-
+
-
+
+

couleur rougeâtre

+
+/-
-
+/-
-
+/-
+/-

corps épais

+
+/-
-
-
+
+
+/-

longueur 50-60 cm

+
+
+
+
-
-
+

fouisseur

+
+/-
+/-
+
+
+/-
+

ondule sur 2 plans

+
-
-
+
-
+
+

sensible/vibrations du sol

+
+/-
+/-
+/-
-
-
+

mortel

? +
+
-
-
-
+/-
-

    Le monstre du Gobi est-il donc un grand amphisbénien inconnu ? C’est en tout cas l’hypothèse à laquelle j’en suis venu, à la lumière de l’ensemble du dossier, et qui seule, rend compte de la quasi-totalité des informations dont nous disposons à ce jour : l’anatomie (taille, épaisseur, absence apparente de tête, couleur rouge...), l’habitat, le mode de progression, l’écologie, etc. La simple confrontation du portrait-robot de l'olgoï-khorkhoï par Ivan Mackerle (figure 4) et de la photographie d'un amphisbénien de la famille des trogonophidés, Trogonophis wiegmanni (figure 5), se passe du reste de commentaire. Le cryptozoologue tchèque Jaroslav Mares a d’ailleurs suggéré l’hypothèse d’un amphisbénien inconnu dès 1993, dans son ouvrage Legendarni prisery askutecna zvirata (créatures légendaires et animaux réels), hypothèse reprise dans son article pour Mlady Svet (1996).
    Bien que les animaux fouisseurs soient, et pour cause, parmi les plus difficiles à observer, je forme le souhait qu’une expédition (peut-être Ivan Mackerle lui-même) finisse par "mettre la main" sur l’olgoï-khorkhoï. Puis-je suggérer, car on n’est jamais trop prudent, de ne le faire qu’avec de "longues pinces en bois" plutôt qu’en acier ?

    En ce qui concerne les observations rapportées du Caucase par Marie-Jeanne Koffmann, je suis très perplexe. Rien ne dit, en premier lieu, que nous ayons affaire à des animaux fouisseurs. La présence d'une large bouche bien dessinée, au moins sur une des deux (?) formes, permet en tout cas d'écarter les amphisbéniens. Il vaut donc mieux garder ces rapports en réserve, en attendant des informations plus circonstanciées sur cette région.

 

 Remerciements

    Je tiens à remercier pour leur aide, leurs conseils et pour les documents qu'ils m'ont permis d'obtenir ou qu’ils ont bien voulu me traduire, Marie-Dominique Even (Centre d’Etudes Mongoles et Sibériennes, Université de Paris X, Nanterre), Bernard Heuvelmans (Centre de cryptozoologie, Le Vésinet), Marie-Jeanne Koffmann (Paris et Moscou), René Laurenceau (Saint-Etienne), Ivan Mackerle (Prague, République Tchèque), Olivier Pauwels (Muséum National d'Histoire Naturelle, Paris) et Karl P. N. Shuker (West Bromwich, Grande-Bretagne).

 

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