Institut Virtuel
de
Cryptozoologie
 
1 - La licorne

(dernière mise à jour : 03 juillet 2000)

    La licorne est un animal mythique qui symbolise l'agressivité sexuelle.

 

Le monokeros de Ctésias

    Cet animal fabuleux fut décrit à l'origine par Ctésias vers 398 avant notre ère. Ctésias, qui avait vécu plusieurs années à la cour du roi de Perse Darius II à Persépolis (Iran actuel), avait recueilli quantité de récits de voyageurs venus de l'Inde, qu'il avait rassemblés dans ses Opera indica, dont il n'existe qu'une forme condensée 1300 ans plus tard par Photius, patriarche de Constantinople. C'est sous le nom de monokeros (unicorne) que Ctésias fit connaître l'animal que nous appelons la licorne :

"Il existe en Inde certains ânes sauvages qui sont aussi grands que des chevaux, et même plus grands. Leur corps est blanc, leur tête rouge foncé, et leurs yeux bleu foncé. Ils ont une corne sur le front, qui a environ un pied et demi [45 cm] de long. La poudre extraite de cette corne est administrée dans une potion qui protège contre les poisons. La base de cette corne, sur quelque deux largeurs de main au-dessus du front, est d'un blanc pur ; la partie supérieure est pointue et d'un pourpre vif ; et la partie restante, ou centrale, est noire. Ceux qui boivent dans ces cornes, taillées en récipients, ne sont pas sujets, dit-on, aux convulsions ou au haut mal [épilepsie]. Ils sont même immunisés contre le poison si, avant ou après son absorption, ils boivent du vin, de l'eau, ou tout autre breuvage dans l'un de ces récipients."

    Cette description, faite à partir des récits de voyageurs, semble être née de la confusion de deux animaux distincts, l'onagre (un âne sauvage), et le rhinocéros unicorne de l'Inde (Rhinoceros unicornis) (figure 1), dont la corne unique est toujours l'objet de croyances : ses prétendues propriétés aphrodisiaques sont d'ailleurs la principale cause d'extinction de ce mammifère, comme des autres rhinocérotidés asiatiques ou africains. La raison de cette croyance est certainement liée au fait que la corne de rhinocéros évoque irrésistiblement un sexe en érection. Quant à la couleur triple de la corne, elle provenait certainement de la décoration des récipients faits à partir de corne de rhinocéros : on faisait ainsi des hanaps en corne de rhinocéros, décorés des trois couleurs qu Ctésias prenait pour la teinte naturelle de la corne.


Figure 1 : le rhinocéros unicorne de l'inde (Rhinoceros unicornis).

    Il est à noter que sur les sceaux en argile de la civilisation de Mohenjo-Daro dans la vallée de l'Indus (Pakistan actuel), la représentation de la licorne est l'une des plus fréquentes (figure 2). Ernest Mackay, archéologue britannique, a mis à jour entre 1927 et 1931, pas moins de 388 sceaux (!) représentant une licorne, datant d'environ 2000 avant J.C. Mackay estimait que l'artiste ayant du mal à représenter les deux cornes avec un effet de perspective, préférait conventionnellement les graver avec une vue à de l'animal sous un angle de 90 degrés : ainsi, une corne cachait complètement l'autre, convention artistique également adoptée sur les anciens sceaux sumériens. Toutefois, pour d'autres animaux à cornes, celles-ci sont parfaitement représentées en perspective, de sorte que cette explication est loin d'être pertinente.


Figure 2 : sceau de Mohenjo-Daro
(© Harappa Archaeological Research Project/www.harappa.com)

    L'animal étant représenté domestiqué (avec un harnais et ce qui pourrait être une mangeoire), certains auteurs ont estimé qu'il s'agissait en fait du taureau : si dans l'Inde moderne, c'est la vache qui est un animal sacré, la licorne est toujours représentée avec ses attributs de mâle, ce qui est cohérent avec sa mythique sexuelle. Par ailleurs, certains sceaux de Mohenjo-Daro représentent aussi le rhinocéros. Tout cela ne pouvait qu'ajouter à la confusion de Ctésias, qui ne parlait du monokeros que par ouï-dire.

 

Du monoceros à la licorne médiévale

    Le naturaliste romain Pline l'Ancien, au premier siècle avant J.C., fera un portrait plus précis de la licorne, où l'on reconnaît clairement le rhinocéros de l'Inde :

"in India et boves solidis ungulis, unicornes, et feram nomine axin hinnulei pelle pluribus candidioribusque maculis, sacrorum Liberi patris -- (Orsaei Indi simias candentes toto corpore venantur) --, asperrimam autem feram monocerotem, reliquo corpore equo similem, capite cervo, pedibus elephanto, cauda apro, mugitu gravi, uno cornu nigro media fronte cubitorum duum eminente. hanc feram vivam negant capi."

    Claudius AElianus, dit AElien, un écrivain romain du troisième siècle de notre ère, décrivait pour sa part deux sortes de licorne. La première est de toute évidence basée sur la description laissée par Ctésias, qu'il rapporte presque mot pour mot. Quant à la seconde, elle concerne un animal appelé kartazonos :

"On dit qu'il y a des montagnes dans les régions intérieures de l'Inde qui sont inaccessibles aux hommes, et par conséquent pleines de bêtes sauvages. Parmi celles-ci se trouve la licorne, qu'on appelle kartazonos. Cet animal est aussi grand qu'un cheval adulte, et il a sa crinière, des poils roux, des pattes comme celle de l'éléphant, et la queue d'une chèvre. Il est extrêmement rapide. Entre ses yeux se dresse une seule corne noire, qui n'est pas lisse mais avec des anneaux naturels, et s'amenuisant graduellement en un point très aigu. De tous les animaux, c'est celui qui a la voix la plus dissonante. Avec les bêtes d'autres espèces qui l'approchent, le kartazonos est doux, mais il se bat avec ses congénères [...]. A la saison du rut, il devient doux envers la femelle qu'il s'est choisie, et ils paissent ensemble côte à côte, mais quand le temps est fini, il redevient sauvage et vadrouille seul. On dit que les jeunes sont quelquefois apportés au roi pour être exhibés les jours de fêtes, mais personne ne se souvient de la capture d'un seul spécimen d'âge mur."

    Entretemps, la licorne avait fait son entrée dans la Bible. L'Ancien Testament mentionne à plusieurs reprises un animal sous le nom de re'em. Au troisième siècle avant J.C., lorsque les Septante traduisirent la Bible, ils optèrent malencontreusement pour le mot grec monokeros pour traduire re'em. Cette erreur de traduction fut dès lors reproduite, et la Vulgate (traduction de la Bible en latin) latinisa monokeros ("une corne") en unicornus, devenu "licorne" dans la Bible en français, et Einhorn ("une corne") dans la Bible en allemand de Martin Luther, le fondateur de la Réforme.
C'est ainsi que la lecture de Job laissait entendre que la licorne était une bête de somme :

"La licorne veut-elle être à ton service ? Passe-t-elle la nuit devant ta crèche ? L'attaches-tu par une corde pour qu'elle trace un sillon ? Va-t-elle après toi briser les mottes des vallées ? Te reposes-tu sur elle, parce que sa force est grande ? Lui abandonnes-tu le soin de tes travaux ? Te fies-tu à elle pour la rentrée de ta récolte ? Est-ce elle qui doit l'amasser dans ton aire ?" (Job, XXXIX, v. 12-15).

    Cette malencontreuse traduction aura pour conséquence que pendant des siècles, dans toute la chrétienté, on ne pouvait mettre en doute l'existence de la licorne, citée expressément dans la Bible ! Ce n'est que bien plus tard qu'on s'avisa que le re'em biblique n'était autre que l'aurochs (Bos primigenius), taureau sauvage disparu vers le dix-septième siècle. Il était d'ailleurs représenté par les Assyriens, qui le nommaient rimu, phonétiquement très proche.

    Tous les auteurs qui feront ensuite allusion à la licorne, se contenteront d'enjoliver à plaisir la description initiale de Ctésias, en y apportant leurs grains de sel successifs. Ainsi, la corne de licorne deviendra une corne d'ivoire torsadée, comme la dent d'un narval (Monodon monoceros), un cétacé des mers boréales (figure 3), car la pharmacopée médiévale utilisera de la dent de narval comme ersatz de corne de licorne (à savoir de rhinocéros). On distinguait alors l'unicornum verum (la "vraie" corne de licorne, faite d'ailleurs rarement de corne de rhinocéros, mais bien plus fréquemment de défense de mammouth), et l'unicornum falsum (la fausse corne, en fait la dent de narval).
    On prétendra aussi que la licorne ne peut être amadouée que par une vierge, accentuant le symbolisme sexuel associé à la créature. La représentation que l'on se faisait de la licorne à la fin du Moyen-Age, comme dans la célèbre tapisserie La Dame à la Licorne (un cheval blanc à la corne d'ivoire torsadée sur le front) n'avait ainsi plus rien à voir avec le rhinocéros de l'Inde (figure 4). On comprend donc que les compilateurs de la Renaissance, comme Gessner, firent figurer les deux animaux dans leurs ouvrages, sans songer à faire le rapprochement, lorsqu'on eut redécouvert le rhinocéros.


Figure 3 : le narval (Monodon monoceros)
dont la défense a servi d'ersatz de corne de licorne.


Figure 4 : représentation traditionnelle de la licorne
sur une tapisserie du quinzième siècle.

    Des anomalies tératologiques (des "monstruosités individuelles", si l'on préfère) ont également joué un rôle dans la persistance du mythe. Ainsi, l'apparition occasionnelle d'une corne frontale chez un animal qui n'en a normalement pas, donne à celui-ci une allure de licorne. Une telle anomalie, heureusement rarissime, se rencontre y compris chez l'homme.
De même, la fusion des deux cornes chez certains mammifères, aboutit au même résultat. En 1982, un jeune bouc surnommé Lancelot présentant cette malformation, et albinos de surcroit, a défrayé la chronique aux USA (figure 5).


Figure 5 : "Lancelot", un bouc tératologique.

    Cependant, la rareté même de ces cas relevant de la tératologie est à l'opposé de la licorne de Ctésias, animal visiblement assez commun, ce qui était le cas du rhinocéros unicorne il y a quelque 2400 ans.

    Ce n'est qu'au dix-huitième siècle que la licorne disparut définitivement des manuels de zoologie.

 

Pour en savoir plus

COSTELLO, Peter
1979 The magic zoo. London, Sphere Books.

LEY, Willy
1948 The lungfish, the dodo and the unicorn. New York.

Un site consacré à une thèse sur la licorne : http://faidutti.free.fr/licornes/these/these.html

 

écrivez-nous !

 

 Retour à la page d'accueil