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Le gorille
(Gorilla gorilla Savage & Wyman 1847)

(dernière mise à jour : 6 janvier 2018)

 

Zoologie

Nom commun : gorille
(Nom scientifique : Gorilla gorilla
Classe : mammifères
Ordre : primates
Famille : pongidés
Taille : 1,85 m de hauteur
Poids :
200 à 250 kg
Habitat : Afrique tropicale occidentale et centrale
Régime alimentaire : feuilles et fruits
Longévité : 30 ans

Description :
Le gorille est un singe anthropoïde, le plus grand primate connu. Quadrupède, il progresse en s'appuyant sur les phalanges repliées des doigts de la main (nuckle walking). Le crâne du mâle adulte possède une crête osseuse sagittale donnant à la tête un aspect pointu. Les oreilles sont de petite taille, à l'inverse du chimpanzé. La peau est noire, ainsi que le pelage, qui peut s'éclaircir avec l'âge ("dos argenté").

 

Historique de la découverte

    Dans les ouvrages traitant du gorille, il est bien rare qu'on ne mentionne pas le périple du Carthaginois Hannon (peut-être au Vème siècle avant J.C.), qui aurait rencontré des "hommes sauvages" et velus appelés gorillai sur une île au large de l'Afrique occidentale. En fait, si tant est que cette expédition ait réellement eu lieu, et du fait des techniques de navigation de l'Antiquité, Hannon n'a pas pu dépasser la Mauritanie actuelle, donc bien plus au nord que l'aire de répartition connue du gorille.
    De plus, les rares détails donnés dans le récit sur ces gorillai ne s'appliquent aucunement aux gorilles, mais évoquent plutôt les hommes sauvages typiques signalés en Europe jusqu'au Moyen-Age et encore de nos jours en Asie centrale, et que Bernard Heuvelmans (1980) a proposé de rapprocher de l'homme de Néanderthal, dont des ossements fossiles ont été justement découverts le long des côtes marocaines.

   En fait, l'histoire de la découverte du plus grand des primates officiellement connu, commence à la fin du seizième siècle. Le premier Occidental qui ait entendu parler de ce grand singe anthropoïde, que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de gorille (Gorilla gorilla), est un corsaire anglais, Andrew Battell. Les Portugais le firent prisonnier au large du Brésil en 1589, avant de le conduire sur la côte ouest de l'Afrique, où il resta captif de longues années. Revenu en Angleterre, ses aventures peu banales furent publiées par Samuel Purchas, vicaire du village voisin, sous le titre Hakluytus postumus, or Purchas, his pilgrimes (1625). Décrivant l'ouest africain (du sud du Gabon au Congo-Brazzaville actuels), Andrew Battell y affirmait l'existence de deux grands singes inconnus :

    "La province de Mayombe est toute de forêts et de bosquets. [...]  Les bois sont si remplis de babouins, de singes à queue, de grands singes et de perroquets, que tout homme aurait peur d'y voyager seul. Il y a aussi ici deux sortes de monstres qui sont communs dans ces bois, et très dangereux.
    "Le plus grand de ces deux monstres est appelé Pongo dans leur langue [des indigènes], et le plus petit est appelé Engeco. Ce Pongo est, dans toutes ses proportions, pareil à un homme ; mais il tient plutôt du géant que de l'homme par la stature ; car il est très grand, il a une face humaine, les yeux caves, avec de longs poils sur les sourcils. Son visage et ses oreilles sont glabres, ainsi que ses mains. Son corps est couvert de poils pas très épais ; et il est d'une couleur brun foncé.
    "Il ne diffère pas de l'homme, sauf pour les jambes ; car il n'a pas de mollet. Il avance toujours dressé sur ses jambes, et et tient ses mains jointes sur la nuque quand il marche sur le sol. Ils dorment dans les arbres et construisent des abris contre la pluie. Ils se nourrissent des fruits qu'ils trouvent dans les bois, et de noix, car ils ne mangent aucune sorte de chair. Ils ne peuvent pas parler et n'ont pas plus d'entendement qu'une bête. Les gens de ce pays, quand ils voyagent dans les bois allument des feux là où ils dorment la nuit ; et au matin, quand ils sont partis, les Pongos viennent s'asseoir autour du feu jusqu'à ce qu'il s'éteigne ; car ils n'ont pas l'intelligence de rassembler le bois. Ils se déplacent en nombre, et tuent beaucoup de nègres qui voyagent dans les bois. Souvent ils tombent sur des éléphants qui viennent se nourrir là où ils sont, et ils les battent tellement avec leurs poings fermés et des bouts de bois, que ceux-ci s'enfuient en barrissant. Ces Pongos ne sont jamais pris vivants, car ils sont si forts que dix hommes ne peuvent en maintenir un ; toutefois ils prennent beaucoup de leurs jeunes avec des flèches empoisonnées.
    "Le jeune Pongo se suspend au ventre de sa mère avec les mains solidement agrippées à elle, de sorte que lorsque les gens du pays tuent une des femelles, ils prennent le jeune qui est suspendu à sa mère.
    "Quand l'un meurt parmi eux, ils couvrent le mort avec de grands tas de branches et de brindilles, que l'on trouve communément dans la forêt."

    Suivant un processus psychologique intemporel et universel, les singes (nos plus proches cousins, zoologiquement parlant), ont toujours été humanisés à l'excès ; alors qu'inversement les peuples des contrées nouvellement découvertes et vivant "à l'état de nature" comme disait Rousseau, ont souvent été bestialisés. Ceci posé, le Pongo de Battell est de toute évidence le gorille, que les Fiodhs ou Bavili du Loango appellent effectivement N'Pungu.
     Quant à l'Engeco, qui n'est que mentionné et non décrit, il s'agit du chimpanzé (Pan troglogytes), connu en Afrique occidentale sous les noms vernaculaires de Ntchégo, Tchégo, Engé-éko ou Enjocko.

    Dans les années qui suivirent, les premiers spécimens de chimpanzé africain et d'orang-outan du sud-est asiatique parvinrent en Europe, mais donnèrent lieu à une grande confusion sur le plan zoologique, puisqu'on pensait qu'il s'agissait d'une même espèce, ce qui explique notamment que le nom scientifique de l'orang-outan soit Pongo pygmaeus, alors qu'il n'a rien à voir avec le Pongo de Battell, ni d'ailleurs avec les "Pygmées" de l'Antiquité (des créatures humaines mythiques de très petite taille, qui n'ont certainement aucun rapport avec les Pygmées twides de la forêt équatoriale africaine).

    En 1774, dans la deuxième édition de son ouvrage sur les origines du langage, James Burnet, lord Monboddo, un juriste précurseur de Darwin, commenta divers rapports déjà mentionnés par Buffon sur de grands singes ressemblant à l'homme, qui se rapportent en fait à l'orang-outan et au chimpanzé. Mais le noble savant versa au dossier un rapport inédit, celui d'un marchand de Bristol, qui était précédemment capitaine d'un navire faisant du commerce vers la Côte des Esclaves de l'Afrique :

    "De cet animal il y a trois classes ou espèces ; la première et la plus grande est appelée ou nommée Impungu par les indigènes de Loango, Malemba, Cabenda, et Congo. Cette merveilleuse et formidable production de la nature marche debout comme l'homme ; a de 7 à 9 pieds [2,15 à 2,75 m] de haut à maturité, épaisse en proportion, et incroyablement forte ; couverte de poils assez longs, noirs comme jais sur tout le corps, mais plus longs sur la tête ; la face ressemblant plus à l'homme qu'au chimpanzé, mais de complexion noire ; et il n'a pas de queue. Quand cet animal voit un nègre, il le poursuit généralement et l'attrape ; parfois il le tue, et parfois il le prend par la main et l'entraîne avec lui. Certains qui ont pu lui échapper disent que cet animal, quand il va dormir, ne se couche pas, mais s'adosse contre un arbre. Dans cette position, quand le prisonnier le voit endormi, il retire doucement son bras ou sa main de la sienne, et s'enfuit ainsi en catimini, mais il est parfois découvert et repris. Il vit des fruits et des racines de ce pays, surtout aux dépens du travail des indigènes ; et quand il lui arrive d'être là où il n'y a pas d'eau, il y a un arbre, avec une écorce juteuse, qu'il frappe avec de la main, brise, et suce le jus ; et il emporte souvent de ces arbres quand il se déplace, au cas où il ne le trouverait pas ou ne trouverait pas d'eau en chemin. Et en effet j'ai entendu dire qu'il peut abattre un palmier, avec sa force prodigieuse, pour en obtenir le liquide. Je n'ai jamais vu cet animal."

    Si la taille de l'animal est exagérée (mais comment ne le serait-elle pas, face à un primate aussi impressionnant ?), et les informations à prendre cum grano salis du fait de leur déformation de récit en récit, on reconnaît sans peine maints traits du gorille : la tendance à la bipédie (un gorille peut faire quelques pas en position érigée), la peau noire, et même la façon dont cet animal suce avec délice le suc des bambous et des palmiers.

    A la fin du dix-huitième siècle, George Maxwell, capitaine d'un bateau de commerce, parcourut le fleuve Congo à une douzaine de reprises, qui lui permirent de se familiariser avec la faune de cette région. C'est ainsi qu'il mentionne un grand singe, surpassant en taille le chimpainzee (chimpanzé) :

    "Poongo. — le plus puissant animal du genre des singes sans queue, est le Poongo. Quand il marche debout, il mesure six pieds [1,80 m], et on dit qu'il a la force de dix hommes. Dans ce cas, s'il est aussi féroce, il pourrait régner sans partage sur les bois. En fait, selon les indigènes, c'est un rival pour toutes les bêtes de la forêt, il conduit les éléphants devant lui avec des bâtons, et enlève fréquemment les femmes, quand il les rencontre à une certaine distance de chez elles."

    Le mythe de la lubricité du gorille, comme on le voit, ne date pas de Georges Brassens, et de sa fameuse chanson "gare au gorille" ! Cette légende a certainement pour origine l'assimilation qui est faite, dans l'imagination populaire, entre pilosité et virilité (le pubis étant la région la plus velue de l'homme) : on imagine donc qu'un être humanoïde et très velu possède une puissance sexuelle démesurée...
    Quant à l'utilisation de bâtons par le gorille, elle a pu être prouvée, photos à l'appui, seulement en 2005 : certes, ce n'était pas pour mener des éléphants tel un pâtre de la forêt vierge, mais pour s'aider à traverser un cours d'eau, en "sondant" la profondeur avec un bâton.

    En 1817, Thomas Edward Bowdich, envoyé du gouvernement anglais au Gabon, recueillit à son tour des rumeurs sur un grand primate ignoré de la science :

    "Il y a dans cette contrée une grande variété de singes. L'ingena, dont je ne parle ici que pour engager à faire des recherches à ce sujet, en est le plus extraordinaire. Les indigènes le comparent à l'orang-outan, mais disent qu'il est beaucoup plus grand, sa taille ordinaire étant de cinq pieds, et la largeur de son corps d'une épaule à l'autre de quatre. Il se nourrit de miel sauvage ; les voyageurs qui vont dans le Kaylie prétendent en avoir vu qui se cachent dans les bois pour attaquer les passans ; ils ajoutent que ces animaux, voulant imiter étourdiment les actions des hommes, se donnent quelquefois la mort. Comme ils voient des Nègres traverser les forêts en portant des fardeaux, ils arrachent de grosses branches, ramassent des dents d'éléphans, se chargent d'un poids disproportionné à leur force, et le portent à travers les bois sans s'arrêter, jusqu'à ce qu'ils tombent épuisés de besoin et de fatigue. Parmi d'autres traits que les Nègres rapportent de ces singes, et sur lesquels ils ne varient pas, ils disent qu'il se bâtissent des maisons qui sont une imitation grossière de celles du pays, et qu'ils se couchent en dehors à terre ou sur le toit. Quand un de leurs petits vient à mourir, ils le portent pressé contre leur sein, jusqu'à ce qu'il tombe en putréfaction."

    En 1836, Thouret, capitaine au long cours, donna au musée du Havre une peau de gorille de 5 pieds (1,50 m) de long, mais hélas elle ne fut pas identifiée comme telle.

    Ce n'est qu'en 1847 que le Pongo de Battell fit enfin son entrée dans la zoologie classique, lorsqu'un missionnaire américain au Gabon, Thomas S. Savage, obtint 4 crânes — 2 de mâles et 2 de femelles (figure 1) — et  des ossements d'un grand singe appelé Enge-ena.


Figure 1 : dessin de crâne de gorille mâle (n° 1) et femelle (n° 2) par Thomas S. Savage
d'après Owen (1848)

    Savage et Wyman décrivirent cet animal légendaire dans des revues savantes de Boston, non sans être à nouveau à la source d'une nouvelle confusion dans sa désignation. Estimant que ce nouveau primate était celui mentionné dans le périple de Hannon sous le nom de gorillai, Savage et Wyman le nommèrent en effet  Troglodytes gorilla, en faisant une espèce géante de chimpanzé.

    Mais il apparut ensuite au grand naturaliste français Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire (1852) que ce gorille présentait nombre de différences anatomiques avec le chimpanzé, justifiant d'en faire un genre à part. Il le renomma donc Gorilla ngina, qui fit place peu après à Gorilla gorilla, en vertu des règles de la nomenclature zoologique.

    Avec les progrès de l'exploration du continent noir (notamment grâce à Stanley et Livingstone), de nouvelles rumeurs sur un grand singe anthropoïde vinrent du centre de l'Afrique (et non plus de la côte gabonaise ou congolaise), qui aboutirent à la découverte d'une nouvelle population par Oskar von Beringe, permettant au mammalogiste Paul Matschie de distinguer deux sous-espèces, le gorille de plaine (Gorilla gorilla gorilla) et le gorille de montagne (G. g. beringei). Des études récentes ont proposé de scinder le gorille de montagne en deux sous-espèces, appelées gorille de montagne occidental et gorille de montagne oriental.

    Il n'en reste pas moins vrai que la découverte du plus grand primate actuel connu s'est étalée sur près de 3 siècles, et a suivi encore une fois un processus typiquement cryptozoologique, passant par des rumeurs et des témoignages, puis des indices matériels fragmentaires, puis enfin l'animal.

 

Bibliographie

BOWDICH, Thomas Edward
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2003-2004 Eclairage sur l'étymologie du mot gorille. Ankh, n° 12-13.

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1852 Sur le gorille. Comptes Rendus de l'Académie des Sciences, 34 : 81-84.
1853 Sur les rapports naturels du gorille ; remarques faites à la suite de la lecture de M. Duvernoy. Ibid, 36 : 933-936  (30 mai).

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1847 Notice of the external characters and habits of Troglodytes gorilla, a new species of orang from the Gaboon River. Boston Journal of Natural History, 5 [n° 4] : 417-442 (December).

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1847 Osteology of the same. Boston Journal of Natural History, 5 [n° 4] : 417-442 (December).

 

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