Le vaste dossier de l'homme retourné à l'état sauvage pose tout le problème de la nature humaine : l'homme peut-il être véritablement un homme, sans la présence de ses semblables ? Et il pose aussi une intéressante question de psychologie animale : est-il prouvé que des enfants aient été adoptés par des loups ou d'autres animaux ?

Pour sa part, le cryptozoologiste doit s'intéresser à ce dossier, car parmi ces hommes ensauvagés, ne se serait-il pas glissé d'authentiques hommes sauvages, de type pongoïde notamment ? En effet, une abondante pilosité est attribuée à certains de ces hommes. Or, contrairement à ce que l'on croit parfois, la vie sauvage n'entraîne pas de développement de la pilosité.

Immédiatement, ce sujet fait surgir des images mythologiques (Romulus et Remus), historiques (Kaspar Hauser), littéraires et cinématographiques (Robinson Crusoë, Mowgli du Livre de la Jungle, Tarzan...). Il faut surtout bien distinguer les enfants (ou les adultes) qui ont vécu seuls en pleine nature, comme Victor de l'Aveyron, trouvé en 1799 dans le sud du Massif Central, en France, de ceux qui ont -- ou auraient -- été élevés par des animaux. C'est surtout en Inde qu'ont été signalés les célèbres enfants-loups, par exemple les fillettes Amala et Kamala, en 1920, mais des cas semblables sont connus en Europe.
Même si le monde scientifique s'est longtemps montré sceptique sur de telles adoptions, les témoignages à leur égard sont parfois très probants. Outre le loup, la chèvre domestique et peut-être l'ours brun sont les principales espèces en cause. Mais bien d'autres ont été mentionnées : ainsi, un enfant-buffle, assure-t'on, a été découvert en Côte d'Ivoire en 1993.
Surtout, coup sur coup, en 1988 et 1992, en Allemagne puis en Roumanie, ont été trouvés des enfants qui auraient été adoptés par une chienne, tout simplement parce qu'ils avaient été enfermés avec l'animal. Le second tétait même sa mère adoptive. A noter que "l'enfant-placard" tend, dans nos pays, à remplacer l'enfant sauvage.

En 1981, à la suite de mon étude informatique sur la Bête du Gévaudan, j'avais employé l'ordinateur pour analyser mon fichier sur les hommes ensauvagés, fichier qui, aujourd'hui, comprend quelque 280 cas, très inégalement documentés il est vrai. Il s'agissait de dresser les deux portraits-robots de l'enfant-loup et de l'enfant sauvage ayant vécu seul. Les différences sont assez nettes, le premier étant quadrupède, et le second bipède. Tous présentent un important retard psychologique, cela va sans dire, qu'ils ne comblent jamais complètement, malgré les soins et l'éducation qui peuvent leur être donnés. Ils meurent en général jeunes.

Particulièrement intéressant pour notre propos est le cas d'hommes ou d'enfants sauvages qui pourraient véritablement relever de la cryptozoologie du fait, nous l'avons dit, de leur pilosité.
Ainsi, dans la forêt d'Iraty (Pyrénées Atlantiques), forêt demeurée sauvage jusqu'à nos jours, était signalé, en 1774, un homme sauvage velu comme un ours, fort rapide à la course et aimant effaroucher les brebis. C'est là un élément important du dossier de la survivance des Néanderthaliens dans les Pyrénées, abondamment discuté par Michel Raynal et Benoît Grison dans les colonnes de Bipedia.
En 1813, un homme également velu, hurlant parfois comme un chien, demeurait assis dans le port de Trébizonde, sur la côte turque de la Mer Noire. C'est à dire non loin du Caucase, domaine de l'almasty.
Plusieurs enfants sauvages ambigus ont été signalés en Lithuanie. Or, en 1815, le baron Larrey, chirurgien en chef de la Grande Armée de Napoléon, examinait à Vilna (Vilnius) le squelette d'un tel "sauvage" velu, de petite taille, qui aurait vécu dans les forêts du pays. Ce squelette présentait un "front presque nul", un occiput formant "une saillie très forte", des "calcanéums [os du talon] très prolongés en arrière", etc. : tous ces caractères désignent bien un Néanderthalien relique, ce qui est d'autant plus troublant quand on sait qu'à cette époque l'homme de Néanderthal fossile était encore inconnu.

Il n'en demeure pas moins que l'immense majorité des enfants sauvages et hommes ensauvagés sont des Homo sapiens modernes. Je n'ai fait qu'effleurer les multiples problèmes que pose leur existence. J'ajoute que je rêve depuis longtemps d'effectuer une étude sur les militaires japonais qui sont demeurés isolés des dizaines d'années sur des îles du Pacifique, ne voulant pas admettre que la seconde guerre mondiale soit terminée...

Je voudrais enfin insister sur un aspect qui n'étonnera pas les cryptozoologistes : l'incrédulité bornée de nombreux scientifiques en place devant la réalité des enfants-loups et des enfants élevés par d'autres animaux.
Il est pourtant bien connu que des femelles de mammifères adoptent facilement des jeunes d'une autre espèce. Et la découverte des deux enfants-chiens européens a été une preuve "grandeur nature" de la réalité des enfants-loups.
Souhaitons que d'autres démentis aussi cinglants viennent confondre les opposants à la cryptozoologie.

 

Bibliographie

BARLOY, Jean-Jacques
1985 Les survivants de l'ombre. Paris, Arthaud.

BARLOY, Jean-Jacques, et Dominique CHARTRAIN
1982 Les enfants sauvages dans l'ordinateur. Amazone, n° 1 : 36-40 (octobre).

GRISON, Benoît
1992 Le problème de l'homme sauvage des Pyrénées au regard des données de l'anthropologie culturelle. Bipedia, n° 8 : 7-11 (mars).

HEUVELMANS, Bernard
1980 Les bêtes humaines d'Afrique. Paris, Plon.

IZZI, Massimo
1984 I ragazzi selvaggi. Clypeus, 21 [n° 82] : 1-13 (giugno).

MALSON, Lucien
1964 Les enfants sauvages : mythe et réalité. Paris, Presses Universitaires de France, Collection 10-18.

RAYNAL, Michel
1989 L'homme sauvage dans les Pyrénées et la survivance des Néanderthaliens. Bipedia, n° 3 : 1-16 (septembre).
1992 Vérité en-deça des Pyrénées... Ibid., n° 9 : 1-12 (septembre).

SINGH, J. A. L. et R. M. ZINGG
1980 L'homme en friche : de l'enfant-loup à Kaspar Hauser. Bruxelles, éditions Complexe.

 

  

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