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de Cryptozoologie |
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L'OISEAU MYSTERIEUX DE PETER
MUNDY
par Michel Raynal
(dernière mise à jour : 28 juin 2003)
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Bien que ses adversaires accusent injustement la cryptozoologie de faire du sur-place et de navoir aucun succès à son actif, les victoires remportées par cette discipline sont nombreuses. Il est vrai cependant quelles sont peu connues du grand public, et même de nombre de cryptozoologues, trop souvent polarisés sur les "vedettes" comme le monstre du Loch Ness ou le bigfoot.Un des cas les plus significatifs concerne un oiseau aptère quobserva Peter Mundy en 1656. Il na pratiquement jamais été cité dans la littérature cryptozoologique. Si jexcepte les brèves allusions que jai faites à cet animal dans mes articles sur loiseau des îles Marquises, notamment dans Cryptozoologia (Raynal 1993), je crois bien que Jean-Jacques Barloy, ornithologue de formation, est le seul à y avoir consacré quelques lignes : dabord dans son ouvrage Serpent de mer et monstres aquatiques (1978), puis très logiquement dans Fabuleux oiseaux (1980), plus concerné a priori par le sujet.
Un drôle doiseau
Peter Mundy était un navigateur britannique du dix-septième siècle, originaire de Penryn en Cornouailles, où il naquit en 1596. En 1655, il effectua son troisième voyage vers lInde à bord de lAleppo Merchant. Lors du retour en 1656, Peter Mundy fit escale à l'île d'Ascencion, au milieu de l'Atlantique sud, et à cette occasion son équipage captura quelques animaux pour varier lordinaire du bord, comme il le mentionna dans son livre de bord :
"Le 7 juin de lan 1656. Laprès-midi nous arrivâmes à Ascension et jetâmes lancre sur la côte nord-ouest de lîle. [...] Seuls les sommets des hautes montagnes au milieu de lîle semblaient un peu vertes, par la présence dune sorte de joncs et dune herbe épineuse. Quelques-uns de nos hommes y montèrent et ramenèrent six ou sept chèvres, sans doute laissées là par les Portugais ; également une demi-douzaine dune étrange sorte de volatile, beaucoup plus gros que nos étourneaux : couleur grise ou tachetée, plumes blanches et noires mélangées, des yeux rouges comme des rubis, des ailes très imparfaites, avec lesquelles ils ne peuvent pas décoller du sol. Ils furent pris en train de courir, ce en quoi ils sont extrêment rapides, saidant un peu de leurs ailes (comme il est dit de lautruche), bec court, des pieds fourchus, et qui ne peuvent ni voler ni nager. Cétait une viande dune délicatesse plus quordinaire, ayant le goût du porc rôti.
"Jai jadis soulevé la question à propos des poules et dodos de lîle Maurice, voyant quils ne pouvaient ni voler ni nager, ayant des pieds fourchus et étant sans ailes sur une île loin de toute terre connue, et aucun nexistant ailleurs, comment sont-ils venus là ? Lîle étant à quelque 300 lieues de la côte de Guinée et 160 lieues de lîle de St. Matheo, la terre la plus proche, la question est de savoir comment ils ont été générés, soit quils aient été créés là depuis le commencement, soit que la terre les ait produits de son plein gré, comme les souris, serpents, mouches, vers, etc., et autres insectes, soit que la nature de la terre et le climat aient altéré la forme et la nature dun autre volatile en celui-ci, jen laisse la discussion aux érudits." (d'après Temple and Anstey 1936).Ces remarques de Peter Mundy sur lorigine de loiseau sont assez pertinentes, au regard des maigres connaissances zoologiques de lépoque. Il est en effet connu maintenant que les îles sont le paradis des oiseaux aptères. Pour ce qui est de lîle dAscension, comment sest fait son peuplement ? La faune locale nétait certainement pas là "depuis le commencement", puisque cette île volcanique, surgie de la mer il y a seulement un million et demi dannées (Olson 1973 : 10), était parfaitement stérile à lorigine. Et ce nest pas davantage la terre qui a produit cet oiseau "de son plein gré" : il sagit là dune croyance en la génération spontanée, dont on na admis définitivement la fausseté quavec les travaux de Pasteur à la fin du dix-neuvième siècle. En revanche, lidée que "la nature de la terre et le climat aient altéré la forme et la nature dun autre volatile en celui-ci" est très exactement ce que nous pensons aujourdhui du phénomène de spéciation lié à lévolution insulaire : une espèce doiseau capable de voler, ancêtre de loiseau observé par Mundy, a du venir à une époque reculée sur lîle, et lévolution biologique a amené notamment une réduction des ailes. On estime en effet que cest labsence de prédateurs dans les îles qui permet aux oiseaux de courir le danger de perdre leurs ailes et de ne plus voler ; ils peuvent ainsi occuper de nouvelles niches écologiques laissées vacantes.
Peter Mundy fit un dessin quelque peu naïf de cet oiseau mystérieux dans son journal de bord (figure 1). Il représente un oiseau au bec de taille moyenne, aux ailes déployées mais réduites, et dont le corps est apparemment tacheté, à moins quil sagisse de petites plumes.
Figure 1 : loiseau de lîle Ascension dessiné par Peter Mundy
(tiré de Temple and Anstey 1936)Quel pouvait donc être cet oiseau, qui ne fut, pour autant que je sache, jamais plus capturé, ni même observé depuis ? En 1935, Kinnear émit l'hypothèse que loiseau de Peter Mundy était un râle insulaire :
"Ces remarques, ainsi que le dessin de Mundy, montrent à lévidence que loiseau devait être un râle qui est maintenant éteint. Lîle dAscension est dorigine volcanique et est plus ou moins un désert de cendre aride à lexception des collines, où il y a une certaine quantité de broussailles et dhumidité qui pourraient assurer abri et nourriture à un petit râle. Aucun autre voyageur ayant visité lîle ne mentionne un oiseau terrestre indigène. Un râle incapable de voler serait aisément exterminé par les rats qui sont communs sur lîle depuis longtemps, et furent sans doute introduits quand Dampier y fit naufrage en avril 1701."Kinnear rappelait que dautres îles de lAtlantique sud abritaient des râles, en particulier celui de lîle Inaccessible, très proche de lîle Ascension : découvert en 1923, il avait été décrit par P. R. Lowe sous le nom de Atlantisia rogersi. Un autre râle, Porphyriornis nesiotis, survécut à Tristan da Cunha jusquau milieu du dix-neuvième siècle, et une espèce voisine, Porphyriornis comeri, vit toujours sur lîle de Gough.
En 1936, Robert Cushman Murphy, dans son ouvrage sur lavifaune de lAmérique du Sud mentionna très brièvement le témoignage de Peter Mundy et lhypothèse de Kinnear, sans autre commentaire. On peut supposer toutefois quil la partageait, car si tel navait pas été le cas, il en aurait sûrement proposé une autre :
"Kinnear (1934 : 32) a reproduit des notes et un dessin du journal manuscrit de Peter Mundy pour montrer quune espèce de râle aptère inconnue par ailleurs habitait Ascension jusquaux temps historiques, c.à.d. vers 1655."Yngvar Hagen, de la mission norvégienne de 1937-38 à Tristan da Cunha, fit une remarque semblable en 1952 :
"On peut également considérer comme peut-être un intérêt théorique, lexistence, il y a des centaines dannées, dune espèce inconnue de râle aptère sur lîle dAscension, un râle dont on ne connaît presque rien excepté quil vivait là vers 1650 (Kinnear)."En 1962, Bernard Stonehouse défendit une autre idée dans la célèbre revue dornithologie Ibis, suivant laquelle loiseau de Peter Mundy nétait quune espèce de sterne (ou hirondelle de mer), la sterne fuligineuse (Sterna fuscata) :
"Bien que je sois daccord avec Kinnear (1935 : 32) que la description pourrait sappliquer à une espèce indigène de râle aptère semblable à ceux que lon trouve sur lîle Inaccessible, elle pourrait également sappliquer à des sternes fuligineuses juvéniles, qui pouvaient être présentes en grand nombre durant sa visite. Pendant une courte période de chaque cycle de reproduction, on peut rencontrer des sternes juvéniles avec peu ou pas dadultes présents. Leurs yeux sont bruns plutôt que rouges, et elles évitent la capture en courant et en voletant."Cest également dans la revue Ibis, que N. P. Ashmole, en 1963, mit en évidence linvraisemblance de cette hypothèse.
Dabord, la couleur des yeux de la sterne fuligineuse est brun sombre, alors que loiseau de Peter Mundy se caractérisait par des yeux "rouges comme des rubis", selon le voyageur britannique.
De plus, alors que la sterne fuligineuse possède un dos brun marqué de blanc (le bout des plumes étant blanc), les flancs et le ventre sont dun gris-brun sombre ; or, le dessin exécuté par Mundy montre un plumage assez uniforme, en tout cas loin dêtre aussi tranché que celui de Sterna fuscata.
Ensuite, Peter Mundy insistait à deux reprises sur le fait que loiseau en question possédait des "pieds fourchus" (quil a dailleurs pris la peine de dessiner sur son journal de bord) et quil ne pouvait pas nager (ni dailleurs voler), alors que les sternes possèdent bien sûr des pieds palmés, et volent plus souvent quelles ne courent.
De même, avec la meilleure volonté du monde, on peut difficilement qualifier les sternes fuligineuses "dextrêmement rapides" quand elles se déplacent à terre.
Peter Mundy notait également que les hommes déquipage gravirent les montagnes de lîle (qui culmine à plus de 800 mètres) pour capturer les fameux oiseaux, alors que les sternes fuligineuses ont toujours niché dans les plaines de lîle dAscension.
Enfin, comment croire que Mundy ait pu confondre ces oiseaux avec des sternes, même juvéniles, quil avait déjà rencontrées au cours de ses voyages (Ashmole 1963) ? Quant aux autres oiseaux vivant à lîle dAscension, une terre finalement désolée, ils ne sont pas légion : les quatre espèces terrestres ont été introduites par lhomme, et à part la sterne fuligineuse, on ny trouve que 10 autres espèces marines, dont aucune ne ressemble, de près ou de loin, à loiseau de Peter Mundy (Ashmole 1963).
Ces nombreuses objections amenaient Ashmole à la même hypothèse que celle quavaient avancée en leur temps Kinnear, Murphy et Hagen :"Nous pouvons conclure, par conséquent, que loiseau de Mundy était un oiseau terrestre aptère, et la suggestion de Kinnear que cétait un râle semble presque certainement être correcte. Aucun autre voyageur ne la signalé, et il est très vraisemblable, comme le supposait Kinnear, quil sest éteint à la suite de lintroduction de rats."Si Ashmole était aussi catégorique, cétait aussi en raison dun élément nouveau à verser au dossier. Lors de lexpédition de la British Ornithologists Union (BOU) de 1957 à 1959 dont il faisait partie, un crâne de petite taille (5 cm de long, bec compris), ainsi quun tarso-métatarse, dun rallidé inconnu, avaient été découverts dans une fumarole de lîle Ascension. Ashmole les avait déjà étudiés dans son article de 1963, mais il navait pas donné de nom scientifique à ces restes osseux. Toutefois, il notait leurs ressemblances avec les rallidés des genres Rallus, Porzana, ainsi quAtlantisia de lîle Inaccessible :
"En attendant létude de matériel futur, je pense que le mieux est de considérer provisoirement cette espèce comme un membre du genre Rallus, qui est un vaste genre comprenant des formes aussi bien à bec long quà bec court, plutôt que de lassocier à Porzana ou à dautres groupes apparentés plus précisément définis. Une comparaison détaillée de lostéologie du râle dAscension avec celle dAtlantisia peut savéré très profitable : au vu des caractères néoténiques présentés par Atlantisia, son squelette et celui du râle dAscension devraient aussi être comparés avec ceux de jeunes individus dautres espèces de râles."James Fisher et Roger Tory Peterson (1964), dans leur ouvrage The world of birds, proposèrent quant à eux une autre identification. Ils mentionnèrent en effet loiseau mystérieux dAscension sous le nom de Crecopsis sp., en faisant donc une espèce apparentée à Crecopsis egregia, un râle africain aux yeux rouges (comme de nombreux râles en fait). Toutefois, ayant examiné plus tard le crâne découvert par Ashmole, Fisher estima (dans une communication privée à Starrs L. Olson) quil appartenait plutôt au genre Rallus.
Lhypothèse avancée dès 1935 par Kinnear, de lexistence dun râle inapte au vol inconnu, apparenté au râle de lîle Inacessible (Atlantisia rogersi) fut en définitive pleinement confirmée en 1973. Lornithologue Storrs L. Olson, qui effectua une mission à lîle Ascension en 1970, découvrit de nouveaux ossements du râle signalé par Ashmole dans les mêmes dépôts volcaniques de l'île. Disposant de restes complets, il put noter les ailes remarquablement réduites de cet oiseau, et la structure du sternum et de la carène, démontrant sans conteste quil était incapable de voler. De toute évidence, il sagissait là de restes subfossiles de loiseau observé par Peter Mundy plus de 300 ans auparavant. Chose encore plus remarquable, cet oiseau présentait nombre de caractères quon ne trouve que chez Atlantisia rogersi, le râle de lîle Inaccessible. Olson décrivit donc la nouvelle espèce sous le nom dAtlantisia elpenor, en référence à un personnage de lOdyssée, quUlysse va chercher jusque dans les Enfers.
Ainsi donc, voilà une nouvelle fois démontrée lefficacité de la méthode cryptozoologique, par lhypothèse de lexistence dune espèce nouvelle de râle (et de ses affinités avec le genre Atlantisia), confirmée par des pièces matérielles près de 40 ans plus tard.
Remerciements
Mes remerciements à Jean-Jacques Barloy (Paris), Karl P. N. Shuker (West Bromwich, Angleterre) et Fabrice Tortey (Saint-Maur-des-Fossés) pour leur aide dans mes recherches bibliographiques.
Bibliographie
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1980 Fabuleux oiseaux. Paris, Robert Laffont : 18.FULLER, Errol
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1952 Birds of Tristan da Cunha. Results of the Norwegian Scientific Expedition to Tristan da Cunha 1937-1938, n° 20 : 1-238 [230].KINNEAR, N. B.
1935 Zoological notes from the voyage of Peter Mundy, 1655-56. (a) Birds. Proceedings of the Linnean Society of London, 147 : 32-33 (January 10).MURPHY, Robert Cushman
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1971 A flightless bird, lost and found. Smithsonian, 2 [n° 3] : 62-65 (June)
1973 Evolution of the rails of the South Atlantic Islands (Aves : Rallidae). Smithsonian Contributions to Zoology, n° 152 : 1-53.RAYNAL, Michel
1993 Loiseau énigmatique dHiva-Oa. Cryptozoologia, n° 3 : 1-8 (juin).
1998 L'oiseau mystérieux de Peter Mundy. Cryptozoologia, n° 24 : 3-7 (mai).STONEHOUSE, Bernard
1962 Ascension Island and the British Ornithologists Union centenary expedition 1957-59. Ibis, 103b [n° 2] : 108-123.TEMPLE, Richard Carnac, and Lavinia Mary ANSTEY
1936 The travels of Peter Mundy in Europe and Asia 1608-1667. London Hakluyt Society, 5 : 82-83.