Institut Virtuel
de
Cryptozoologie
 

   

LES POULPES GÉANTS DU PACIFIQUE
par Michel Raynal

  (dernière mise à jour : 10 mai 2003)

 

    Il n'y a pas qu'en Atlantique que l'on signale l'existence de poulpes géants : nombre de rapports nous viennent également de l'océan Pacifique.

 

Sud-est du Pacifique : méprise et canulars

    Le premier témoignage que nous allons étudier est dû à la plume d'un certain Max-P. Robin, capitaine au long cours, qui a longuement raconté dans Le Chasseur Français de novembre 1952, un "combat de monstres" entre un cachalot et une prétendue "pieuvre géante", dont il a été le témoin au large de l'île Chiloé, située à quelques kilomètres de distance des côtes du Chili.
    Notre officier commence d'abord par livrer quelques généralités sur les cachalots, affirmant qu'ils se nourrissent de "pieuvres géantes [...], animaux immondes qui, petits et grands, infestent toutes les mers du globe". Sans nous attarder sur cette répulsion anti-céphalopodes, voilà qui doit nous inciter à la plus grande prudence pour la suite du récit : les seuls céphalopodes géants que l'on ait jamais trouvés dans l'estomac des cachalots sont des calmars, et jamais des poulpes géants.
    Pour dévorer lesdites "pieuvres géantes", le capitaine Robin nous précise que le cachalot est particulièrement bien armé :

"Les dents de sa mâchoire supérieure sont triangulaires et acérées, celles de la mâchoire inférieure ont la forme d'alvéoles dans lesquelles les dents du haut viennent s'encastrer."

    Erreur regrettable : c'est en effet exactement le contraire, à savoir que le cachalot (Physeter macrocephalus) possède 40 à 50 dents à la mâchoire inférieure, et de simples alvéoles à la mâchoire supérieure !
    Poursuivant son cours de cétologie approximatif, le capitaine Robin en vient à parler de l'ambre gris, cette substance utilisée jadis en parfumerie, que l'on trouve dans le tube digestif des cachalots. Elle semble être produite par l'action des sucs digestifs de ces grands cétacés sur les becs de céphalopodes, mais pour le capitaine Robin, il s'agit de calculs du rein ! Apparemment, il a aussi mal digéré ses lectures sur les cachalots, que ces derniers les becs de céphalopodes...
    Enfin, il en vient à son témoignage. Ayant doublé l'île de Chiloé, son cargo rencontra un cachalot dont la tête et le cou étaient marqués de "cicatrices attestant les nombreux combats livrés aux pieuvres géantes". Le capitaine Robin ne trouva rien de mieux à faire que de lui tirer une balle de fusil sur la queue - le genre de geste stupide auquel on doit s'attendre de la part de certains chasseurs. L'animal sonda, puis refit surface, avec une "pieuvre géante" autour de sa tête :

"Le cachalot avait dans sa gueule 2 tentacules qu'il était en train de broyer pendant que la pieuvre, qui mesurait de 8 à 10 m d'envergure, lui labourait la tête et le cou de son bec puissant semblable à celui des perroquets. Elle se collait sur son auvent de toute la force de ses ventouses placées sous ses bras que de temps en temps elle levait à la verticale et laissait tomber lourdement pour faire subir au cétacé le supplice de la flagellation."

    Le combat tourna bien vite à l'avantage du cachalot, qui emporta sa proie pour terminer tranquillement son festin. Mais était-ce bien un poulpe ? N'était-ce pas plutôt un calmar géant ? Tout ce qu'écrit le capitaine Robin des prétendues "pieuvres géantes" s'applique en fait à des calmars, à commencer par les cicatrices sur la peau du cachalot : seules les ventouses cornées des calmars peuvent infliger de telles blessures. Quant au combat, on remarquera qu'il semble y avoir une distinction entre les "deux tentacules", dévorés dès le début, et les "bras", plus robustes, dont le céphalopode se servait comme de massues : tout cela désigne le calmar, sans contestation possible.
    J'estime donc que le capitaine Robin a assisté à un combat entre un cachalot et un calmar géant, sans doute un Architeuthis, armé de bras de 4 à 5 m de long (d'où une "envergure" de 8 à 10 m), soit une masse corporelle d'une dizaine à une quinzaine de mètres, tentacules non compris. C'était donc un spécimen de taille considérable, supérieure à coup sûr à celle du spécimen de Thimble Tickle (Terre-Neuve) de 1878, tenu pour le record de l'espèce (16,70 m de longueur totale, fouets compris), dont le spectacle devait être certainement impressionnant — mais enfin, ce n'était pas une "pieuvre géante".

    Faisant route plus au nord, nous arrivons dans la baie de Manta, sur la côte du Pérou, pour tenter de récupérer les trésors engloutis du Santa-Cruz, un galion espagnol coulé en 1680, en compagnie d'un aventurier américain, le lieutenant Harry E. Rieseberg.
    Celui-ci, qui a passé sa vie en chasse de trésors sous-marins, a relaté ses exploits dans plusieurs ouvrages riches en péripéties de toutes natures, notamment 600 Milliards sous les Mers (I Dive for Treasure) (figure 1).


Figure 1 : le livre de Rieseberg

    Comme, à la longue, la recherche et le renflouement de trésors engloutis deviennent fastidieux pour le lecteur blasé, ce dernier est heureusement tiré de sa torpeur par un bon combat contre un poulpe monstrueux, dans la veine de celui de Giliatt contre la pieuvre décrit par Victor Hugo (avec une qualité littéraire évidemment inférieure)...
    Voici donc qu'au cours d'une plongée par 25 brasses de fond sur une épave en baie de Manta, le lieutenant Rieseberg assiste à une lutte titanesque entre un requin de 18 pieds de long (5,50 m), et une "pieuvre d'au moins 12 pieds", autrement dit 3,65 m. C'est certes un poulpe de très grande taille, mais certainement pas "gigantesque", comme le dit l'auteur : au regard de ce qui nous attend, il n'y a pas de quoi crier au monstre...
    Le céphalopode appliqua ses ventouses sur les fentes branchiales du squale, et l'asphyxia sous les yeux révulsés du lieutenant, qui filma la scène. Jusque là, rien que de très plausible : c'est en effet très exactement la technique utilisée par un poulpe de taille moyenne pour tuer un requin dans le film réalisé pour illustrer le très beau livre de Rachel Carson The Sea around us (Cette Mer qui nous entoure).
    Mais nous ne sommes pas arrivés au bout de nos peines. Plongeant à nouveau le lendemain au même endroit, Rieseberg va devoir se mesurer à un poulpe de 24 pieds d'envergure (7,30 m) aux "tentacules aussi gros que le corps d'un homme", qu'il va sectionner un à un avec les pinces de son scaphandre articulé.
    Voilà qui commence à devenir très suspect. Ce n'est pas tant la taille impressionnante du mollusque qui m'autorise à le penser (nous verrons beaucoup "mieux" par ailleurs...), ni même la description du combat, mais cette dernière précision que les bras étaient aussi gros que le corps d'un homme. Chez un poulpe ayant des bras de 12 pieds, soit 3,65 m de long, le diamètre à la base ne saurait excéder une dizaine de centimètres : il faudrait vraiment avoir une taille de guêpe pour soutenir la comparaison !

    Et puis surtout, il y a la personnalité de Rieseberg qui n'inspire guère confiance, car il semble avoir la détestable habitude de pimenter ses récits de chasse au trésor par un combat en règle contre quelque énorme poulpe. Nous retrouvons en effet le même lieutenant Harry E. Rieseberg plus au nord, au large de l'île de Malpelo (près de la Colombie), plongeant par 35 brasses sur une autre épave espagnole chargée de barres d'argent. Et à nouveau...

"Au milieu de mes pensées, j'eus le sentiment étrange, sinistre, que l'on m'observait. Si forte était cette impression d'une présence près de moi que je me retournai et projetai la lumière de mon chalumeau autour de la pièce. Et alors... Grand Dieu ! De derrière les contours imprécis de la grande statue de bronze, une forme gigantesque s'éleva devant mes yeux. Tandis que je cherchais à percer la pénombre, un frisson me parcourut, car là, se déplaçant maintenant de toute sa masse en travers de la porte... et me barrant toute issue, il y avait un être qui aurait vraiment pu figurer dans les cauchemars d'un amateur de haschisch ou d'un fou ! Un corps répugnant, couvert de verrues, oscillait lentement, en se tortillant, d'un côté à l'autre, frémissant et se contorsionnant sans arrêt. L'énorme monstre avait au moins quinze pieds [4,50 m] d'envergure, avec un corps arrondi d'au moins quatre pieds [1,20 m] de large qui ressemblait à un tonneau. Ses longs bras visqueux, ou tentacules, étaient garnis de ventouses de la dimension d'une soucoupe et dont il paraissait y avoir des centaines.
"On eût dit une figure surgie des profondeurs de l'enfer. Son énorme corps boursouflé avait des marbrures qui passaient lentement du brun au jaune sale, puis au marron clair et ensuite au gris et au blanc. Ses yeux étaient celui d'un démon qui semblait surveiller comme un vampire mes moindres mouvements."

    Rieseberg entreprend alors de sectionner les bras de cette abomination, mais l'animal ayant le dessus, il finit par lui plonger son coutelas "dans la seule partie du corps vulnérable chez la pieuvre, la veine jugulaire" : c'est évidemment un non-sens anatomique. En fait, c'est le cerveau, entre les yeux, qu'il convient de frapper, ou seulement de mordre, comme le savent tous les pêcheurs de poulpes, et notamment, ceux des îles Gilbert, comme l'a décrit sir Arthur Grimble. L'épisode le plus incroyable du récit est toutefois celui où les pêcheurs indigènes accompagnant Rieseberg viennent le délivrer, en plongeant en apnée (sans scaphandre) à plus de 60 m de profondeur ! Voilà qui est encore plus fort que les prouesses de Jacques Mayol dans Le Grand Bleu...
    Quant aux dimensions du monstre, elles sont des plus fantaisistes : un poulpe de 15 pieds (4,50 m) d'envergure ne saurait avoir un corps large de 4 pieds (1,20 m) : 4 pouces (10 cm) serait sans doute plus proche de la réalité ! Et ses ventouses ne sauraient être "de la dimension d'une soucoupe", tout au plus auraient elles 4 ou 5 cm de diamètre, donc 3 ou 4 fois moins.

    

 

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