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de Cryptozoologie |
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(dernière mise à jour : 29 juillet 2013)
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Un "ver" signalé par les paléontologues
Le premier rapport que je connaisse au sujet de cette
créature énigmatique, nous vient du
paléontologue américain Roy
Chapman Andrews, qui effectua une mission au Gobi en 1922-1923.
Pour la petite histoire, je dois préciser quAndrews,
à linséparable chapeau feutre vissé sur la
tête, était un aventurier autant quun chercheur
(il a descendu pas moins de trois bandits à coups de revolver
!), et quil éprouvait pourtant une véritable
aversion pour les serpents ; les cinéphiles lauront
deviné, il a très certainement servi de modèle
à Steven Spielberg, pour créer son personnage mythique
dIndiana Jones...
Alors quAndrews se trouvait à Urga, il eut à
négocier, avec le ministre des affaires
étrangères du gouvernement mongol, les droits et
devoirs des deux parties à loccasion de
lexpédition. Une fois le document signé, le
premier ministre mongol tint quand même à
présenter à Andrews une étrange requête,
que le paléontologue a racontée dans son livre On
the trail of ancient man (sur la piste de lhomme
préhistorique) (1926) :
"Ensuite le premier ministre me demanda, si c'était possible, de capturer pour le gouvernement mongol un spécimen de l'allergorhai-horhai. Je doute qu'aucun de mes lecteurs scientifiques puisse identifier cet animal. Aucune des personnes présentes n'avait jamais vu la créature, mais toutes croyaient fermement en son existence et la décrivaient minutieusement. Elle a la forme d'une saucisse d'environ deux pieds [60 cm] de long, n'a ni tête ni pattes et est si venimeuse que le seul fait de la toucher signifie une mort instantanée. Elle vit dans les régions les plus désolées du désert de Gobi, où nous devions aller. Elle semble être aux Mongols ce que le dragon est aux Chinois. Le premier ministre dit que, bien qu'il ne l'eût jamais vue lui-même, il connaissait un homme qui l'avait vue et qui avait vécu pour raconter l'histoire. Alors un ministre affirma que "le cousin de la sur de sa femme décédée" l'avait également vue. Je promis de produire l'allergorhai-horhai si par chance nous croisions son chemin, et j'expliquai comment on pourrait l'attraper au moyen de longues pinces en acier ; de plus, je porterais des verres sombres, de sorte que les effets désastreux, ne serait-ce que de regarder une créature aussi venimeuse, seraient neutralisés..."
Voilà qui en tout cas démontrait que Roy Chapman
Andrews ne manquait pas dhumour, mais surtout, on laura
compris, quil prenait les dires des Mongols sur cet animal
cum grano salis, pour ne pas dire à la rigolade. Le
célèbre paléontologue ne fit donc pas des
efforts démesurés pour rechercher une créature
aussi extravagante, mais il revint tout de même de son
expédition avec une riche moisson de fossiles, notamment de
dinosaures, dont une espèce lui fut dailleurs
dédiée (Monoceratops andrewsi).
Contentons-nous pour linstant de relever labsence
troublante de membres et surtout de tête chez le "monstre du
Gobi", si je puis lappeler ainsi : cette singularité
anatomique, si elle devait se confirmer, pourrait bien aider les
"lecteurs scientifiques" que nous sommes, pour reprendre les mots
dAndrews, à identifier lanimal...
En fait, ce témoignage était bien connu des
spécialistes du Tatzelwurm,
le fameux "ver à pattes" des Alpes suisses, bavaroises et
autrichiennes (encore une énigme cryptozoologique !). En 1931,
le docteur Karl Meusburger décrivit dans un article de la
revue Der Schlern, publiée à Bozen (Bolsano)
dans le Tyrol italien, pas moins de 45 rapports circonstanciés
sur cet animal énigmatique ; et il cita curieusement le cas
précédent sous le numéro 45, bien
quà lévidence il nait rien à
voir avec le dossier du Tatzelwurm stricto sensu.
En 1934, dans la même revue Der Schlern, Otto
Steinböck, adversaire résolu des partisans de
lexistence du Tatzelwurm,
exécuta en quelques mots le cas précédent :
"Nous pouvons oublier en toute tranquillité le cas 45, où un ministre mongol prétend que "le cousin de la sur de sa femme décédée" (!) aurait rencontré un Tatzelwurm [sic]."
En dautres termes : raus, circulez, il ny a
rien à voir ! Que le Herr Professor Doktor de
luniversité dInnsbruck écarte sans autre
forme de procès lexistence de
lallergorhai-horhai, relève dun parti-pris
manifeste, mais que je peux encore comprendre, sinon partager. Par
contre, Otto Steinböck aurait été mieux
inspiré de sen tenir à la première partie
de sa phrase : se moquer du lien de parenté complexe
détaillé par le ministre, témoigne
déjà dune grande méconnaissance de la
société mongole traditionnelle, où
lappartenance clanique est une valeur essentielle (le ministre
voulait dire ainsi que le témoin appartenant à son
clan, il avait toute confiance en lui) ; et parler dun
Tatzelwurm mongol est une
hérésie, ne serait-ce que pour des raisons
géographiques, en plus des particularités anatomiques
spécifiques de chacune des deux créatures.
Par la suite, dautres spécialistes du Tatzelwurm
devaient encore citer le rapport dAndrews, et notamment Luis
Schönherr en 1991 dans la première partie son article
pour la revue fortéenne Pursuit. Hélas, ce
magazine disparut précisément à cette
époque, et nous resterons donc (à jamais ?) sur notre
faim pour prendre connaissance des commentaires de Schönherr
à ce propos. Incidemment, comme il annonçait pour son
deuxième article, resté impublié, un catalogue
de 160 observations du Tatzelwurm,
alors que je nen possède à ce jour "que" 110 ou
120 dans mon dossier, on comprendra ma frustration de navoir
pas réussi à entrer en contact avec cet auteur...
Roy Chapman Andrews a également mentionné son entrevue avec le premier ministre mongol à propos de l'allergorhai-horhai dans un autre de ses livres, The new conquest of Central Asia (la nouvelle conquête de lAsie Centrale) (1932), lun des sept volumes consacrés par le Muséum dHistoire Naturelle de New York aux expéditions américaines en Mongolie. La description de lanimal est faite presque dans les mêmes termes que dans son ouvrage de 1926, mais Andrews y ajoute quelques remarques personnelles inédites :
"Lors de la rencontre avec le Cabinet gouvernemental, le premier ministre me demanda de capturer pour le gouvernement mongol un spécimen de l'Allergorhai-horhai. Il sagit probablement dun animal complètement mythique, mais il se peut quil ait une petite base factuelle, car tous les Mongols du nord y croient fermement et donnent essentiellement la même description. Il aurait environ deux pieds [60 cm] de long, un corps en forme de saucisse, et n'aurait ni tête ni pattes ; il est si venimeux que même le toucher signifie une mort instantanée. Il vivrait dans les régions sableuses les plus arides du Gobi occidental. Quel reptile peut avoir servi de base pour sa description, voilà qui est un mystère !
"Je nai encore jamais rencontré un Mongol qui veuille admettre quil lait vraiment vu lui-même, bien que des dizaines disaient quils connaissaient des hommes qui lavaient vu. De plus, chaque fois que nous allions dans une région dont on disait quelle était un habitat favori de la bête, les Mongols de cet endroit disaient quon pouvait la trouver en abondance à quelques miles de là. Si la croyance en son existence nétait pas si forte et générale, je la rejetterais comme un mythe. Je la rapporte ici avec lespoir que les futurs explorateurs du Gobi auront plus de succès que nous pour dépister lAllergorhai horhai."
Cette fois, Andrews ny allait plus de ses remarques sarcastiques, et faisait au contraire preuve dune certaine ouverture desprit, dautant plus quil écrivait ces lignes dans une austère encyclopédie de géologie. Quant à savoir quel reptile (à supposer quil sagisse bien dun reptile !) peut avoir servi de base pour la description de lanimal, nous y viendrons en temps utile.
Le célèbre explorateur suédois Sven Hedin a également mentionné l'animal mystérieux dans un de ses ouvrages, Gobiöknens gåtor (les mystères du désert de Gobi) (1930). C'est en fait dans un appendice sur la botanique et la zoologie du désert de Gobi, écrit par le docteur David Hummel, que l'on peut lire :
"L'allegoi-horhoi, craint de tous les Mongols -- le serpent du désert qui "n'a pas de queue" et qui paralyse sa victime humaine au premier regard, et dont la morsure serait infailliblement fatale -- nous n'avons jamais réussi à l'attraper. Il est partout, disent les Mongols -- mais il semble toujours être dans un autre endroit que celui où l'on se trouve. L'expédition d'Andrews l'a cherché également en vain."
Vers 1930, les géographes soviétiques A. D. Simoukov et V. A. Kazakevitch auraient parlé de lanimal mystérieux du Gobi, mais (avis aux chercheurs !) je nai pas réussi pour linstant à vérifier cette information. Jai fini par apprendre que Simoukov est mort en déportation au goulag, et que toutes ses archives ont été détruites, ce qui laisse peu de chance de retrouver quoi que ce soit.
Après la deuxième guerre mondiale,
lAcadémie des Sciences de lURSS, sous
limpulsion de lacadémicien Youri Orlov, organisa
une série de missions au Gobi, qui seffectuèrent
de 1946 à 1949. Un des membres de lexpédition, le
géologue et paléontologue russe Ivan Efrémov,
entendit à son tour parler de cette créature
déconcertante, sous le nom quelque peu différent
dolgoï-khorkhoï, comme il devait le rapporter
dans le livre, publié en 1958, quil consacra à
son expédition, et auquel nous allons revenir.
Notons que olgoï-khorkhoï, qui est la transcription
la plus fidèle du nom de lanimal tel que
lorthographie Efrémov en caractères cyrilliques,
nest pas si éloigné quil pourrait y
paraître, si lon sen tient à la seule
orthographe, de celui dallergorhai-horhai
rapporté par Andrews : le son "ol" est en effet rendu par
all en anglais, et le "kh" doit se prononcer comme dans le
prénom arabe Khaled (ou encore comme la jota
espagnole), cest-à-dire comme une sorte de "r"
guttural. Du reste, la transcription allegoi-horhoi par l'expédition de
Sven Hedin est également phonétiquement très semblable.
Chose amusante, Ivan Efrémov est beaucoup plus connu comme
écrivain de science-fiction que comme paléontologue. On
lui doit notamment un grand roman, La nébuleuse
dAndromède, considéré comme un des
chefs-duvre du genre. Il est également
lauteur dun certain nombre de "contes scientifiques",
réunis sous le nom de Récits (1954), et
fortement inspirés de ses propres expéditions
géologiques ou autres. Au cours de mes recherches
bibliographiques, jai eu la surprise (et le ravissement) de
constater quun chapitre de cet ouvrage, intitulé
justement olgoï-khorkhoï, concernait notre
sujet.
Il y est question dune expédition
géodésique russe dans le désert de Gobi,
où le narrateur est accompagné de son chauffeur Gricha,
du radio Micha et dun vieux guide mongol du nom de Darkhin.
Alors que leur véhicule faisait route au milieu du
désert, le radio sauta soudain à terre et
sélança vers une dune où il avait entrevu
quelque chose de bizarre :
"Sur une butte basse et plate qui se voyait dans l'interstice de deux autres, un être vivant se mouvait. Si près qu'il fût de nous, le chauffeur et moi n'arrivions pas à le détailler. Il avançait par saccades, tantôt replié, tantôt étiré. Parfois, il se laissait simplement rouler sur la pente.
"-- En voilà une drôle de bête ! On dirait un saucisson, chuchota le chauffeur à mon oreille, comme s'il craignait d'effaroucher l'être mystérieux.
"En effet, l'animal semblait n'avoir ni pattes, ni bouche, ni yeux ; ces derniers, à vrai dire, étaient peut-être invisibles à distance. Cela ressemblait à un gros saucisson d'un mètre de long. Les deux bouts étaient obtus, aussi ne pouvait-on pas distinguer la tête de la queue. Un ver géant, habitant inconnu du désert, se tortillait sur le sable violet. Ses mouvements maladroits et lents avaient quelque chose de hideux et de pitoyable à la fois. Sans être calé en zoologie, je me rendais compte que nous avions affaire à une espèce absolument ignorée jusqu'ici. Au cours de mes voyages, j'avais souvent rencontré divers spécimens de la faune de Mongolie, mais je n'avais jamais entendu parler de ces vers monstrueux.
"-- Quelle saleté ! s'écria Gricha. Je vais l'attraper, mais je mets des gants : ça me dégoûte d'y toucher ! Il bondit dehors après avoir saisi ses gants de cuir. Halte, halte ! cria-t-il au radio qui visait du haut de la dune voisine. Faut le prendre vivant ! Tu vois bien qu'il peut à peine bouger !
"-- D'accord. Mais voilà son copain qui rapplique, répondit Micha en posant avec précaution son arme sur la crête de la dune.
"Un autre saucisson, pareil au premier, quoique un peu plus grand, roulait sur la pente sablonneuse. Au même instant, Darkhin, resté dans la caisse, poussa un hurlement. Sans doute réveillé en sursaut par le piétinement et les cris des gars, il proférait maintenant des clameurs indistinctes, quelque chose comme «ooï-ooï». Le chauffeur avait déjà escaladé la dune et redescendait avec le radio. Ils couraient vite. Les événements se précipitèrent. Je m'élançai pour prendre part à la capture de ces êtres fantastiques. Mais je n'avais pas fait deux pas que le Mongol dégringola de la camionnette et se cramponna à moi. Son visage, toujours si calme, grimaçait de terreur. Il haletait :
"-- Rappelle les gars !... Vite ! C'est la mort ! Et de nouveau, il glapit d'une voix de fausset : -- Ooï-ooï !...
"Plutôt surpris qu'effrayé par cette attitude bizarre, je criai à mes compagnons de revenir. Mais soit qu'ils ne m'eussent pas entendu, soit qu'ils fissent la sourde oreille, ils couraient toujours vers les bêtes inconnues. J'allais m'élancer dans leur direction, quand Darkhin me tira en arrière. Tout en cherchant à me dégager, j'observais les animaux. Le chauffeur et Micha étaient déjà à côté d'eux, celui-ci un peu en avant de l'autre. Subitement, les vers se tordirent en spirale. Leur couleur beige tourna au violet, les bouts se teintèrent en bleu vif. Sans un cri, le radio s'abattit, face contre terre, et ne bougea plus. J'entendis l'exclamation du chauffeur qui avait rejoint son camarade étendu à quelques mètres des monstres. Encore une seconde, et Gricha, recroquevillé, tomba sur le côté. Son corps se retourna et disparut en roulant au pied de la dune. Je m'arrachai aux mains du guide pour courir à leur secours. Mais Darkhin, leste comme un adolescent, me saisit par les jambes et nous tombâmes tous les deux sur le sable. Je luttais avec lui, m'efforçant de lui échapper. Exaspéré, je sortis mon revolver et l'en menaçai. Au bruit du cran de sûreté, le vieux lâcha prise. Relevé sur les genoux, il me tendait les bras. Un souffle rauque et le cri de "Mort ! Mort !" jaillissaient de sa poitrine. J'escaladai en vitesse la dune, l'arme au poing. Les vers mystérieux s'étaient éclipsés. Les corps inertes de mes camarades gisaient sur le sable que les horribles bêtes avaient sillonné de leurs traces. Le Mongol me suivait; dès qu'il vit que les vers n'étaient plus là, il se jeta vers nos compagnons. Une affreuse douleur m'étreignit lorsque, penché sur leurs corps immobiles, je n'y perçus pas le moindre signe de vie. Le radio était couché la tête renversée, les yeux entrouverts, le visage calme. Gricha, au contraire, avait la figure crispée par une souffrance subite et atroce. L'un et l'autre étaient bleus, comme des asphyxiés.
"Tous nos efforts : frictionnements, respiration artificielle, voire une saignée tentée par Darkhin, restèrent vains. La mort de nos camarades ne laissait aucun doute. Nous étions atterrés. Depuis le temps que nous voyagions ensemble, nous étions devenus très amis. Pour moi, c'était une lourde perte. Et puis, j'étais bourrelé de remords : j'aurais dû les empêcher de courir étourdiment après ces monstres inconnus. Désemparé, presque inconscient, je me taisais, promenant le regard alentour, avec lespoir de revoir ces vers maudits pour leur lâcher les balles de mon revolver dans le ventre. Le vieillard, agenouillé sur le sable, pleurait doucement, et je ne songeai quaprès coup à la reconnaissance que je lui devais pour mavoir sauvé la vie... "
Les rescapés amenèrent les corps des deux victimes dans la camionnette, pour les enterrer loin de ce lieu sinistre. Le chef de lexpédition remercia chaleureusement Darkhin pour son intervention salutaire. Le guide mongol expliqua alors :
"-- Je criais "mort", mais toi, tu courais quand même. Alors je tai saisi ; si le chef est perdu, tout est perdu. Et toi, tu as presque tiré sur moi !...
"-- Je voulais sauver mes compagnons. Je ne pensais pas à moi.
"Voici toutes les explications que jai pu obtenir du guide et des autres connaisseurs de la Mongolie : selon une très vieille légende du pays, une bête appelée "olgoï-khorkhoï" habiterait au fond des plus mornes déserts. Cest ce nom, balbutié par Darkhin, que javais pris pour la répétition dun cri : "ooï-ooï". Lanimal nétait jamais tombé aux mains des explorateurs dabord parce quil habite les sables arides, ensuite parce quil inspire la terreur aux Mongols. Et cette terreur est bien fondée, comme jai pu men convaincre : lolgoï-khorkhoï tue à distance et en un clin dil. Je ne saurais dire ce qui lui donne ce pouvoir mystérieux ; peut-être, une décharge électrique superpuissante ou la projection dun venin...
"La science finira par connaître cette redoutable bête quand des explorateurs plus heureux lauront aperçue et étudiée."
Ce récit est illustré dun dessin au trait assez naïf, montrant les deux "vers", gras et annelés, à moitié sortis du sable ; Micha est déjà étendu sans vie, face contre le sol, et Gricha seffondre à son tour, frappé à mort, tandis quau loin, près du camion, le narrateur et son guide Darkhin semblent aux prises lun avec lautre (figure 1). Cet épisode a dailleurs inspiré les illustrateurs des diverses éditions de cette nouvelle (figures 2 et 3). Bien sûr, cette histoire nest quun conte fantastique : le narrateur, qui écrit à la première personne, sy met dailleurs en scène sous le prénom de Mikhaïl Illitch (et non Ivan, le prénom dEfrémov). Le pastiche cryptozoologique est en effet un des thèmes récurrents dans les romans de science-fiction et daventures, depuis Jules Verne et Herbert George Wells, jusquà Henri Vernes (le "père" de Bob Morane) et Michael Crichton (lauteur de Jurassic Park), en passant par Arthur Conan Doyle et son célèbre roman The lost World.
Figure 1 : une illustration naïve tirée de l'ouvrage d'Efrémov. |
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Figure 3 : ...et une troisième. |
La teneur du récit du savant et écrivain soviétique est cependant loin dêtre purement imaginaire. En 1958, Ivan Efrémov rapporta en effet dans son livre Doroga vetrov (La route des vents) les légendes que lui avait racontées Tseven, un vieillard de Dalandzadgad, quil avait rencontré lors de son expédition au Gobi, à la recherche de fossiles du crétacé supérieur. Les compagnons dEfrémov finirent par amener la discussion avec le vieux Mongol sur lanimal énigmatique :
"-- Avant quil ne parte, il faut linterroger sur lolgoï-khorkhoï ! sexclama Eglon.
"Ian Martynovitch évoquait un étrange animal des légendes mongoles. Une tradition, depuis longtemps répandue chez les habitants du Gobi, parle dun grand et gros ver (olgoï - gros boyau, khorkhoï - ver de terre), de plus dun demi-mètre de long, vivant dans dinaccessibles endroits sablonneux du désert de Gobi. Les récits sur cet animal sont concordants. Lolgoï-khorkhoï est connu comme une créature vraiment terrible, douée dun pouvoir meurtrier incompréhensible, capable de frapper à mort lhomme qui leffleure.
"Aucun savant-chercheur na jamais vu le ver extraordinaire, mais sa légende est tellement répandue et toujours tellement identique, quon est obligé de penser quil existe effectivement, pour fonder cette légende, un animal extrêmement rare, en voie dextinction, dans doute rescapé des temps anciens, se maintenant de nos jours dans les coins les plus déserts de lAsie Centrale. Jai utilisé la légende de lolgoï-khorkhoï dans lun de mes récits fantastiques. Andrews, le chef de lexpédition américaine, a lui aussi entendu parler de lolgoï-khorkhoï.
"Danzan entreprit Tseven avec une certaine gêne, comme sil craignait la moquerie du spirituel vieillard en réponse à la question naïve sur lanimal légendaire. A létonnement général, Tseven déclara quil avait beaucoup entendu parler de ce ver géant qui peut tuer dun seul coup, mais il ne lavait jamais vu. A quatre ourtons [environ 130 Km] au sud-est de laïmak [district rural] il existe un lieu, le Khaldzan dzakhé ("région chauve") où lolgoï-khorkhoï vit dans les dunes de sable. Mais on ne peut le voir quà la pleine chaleur, en juin-juillet, plus tard il senfonce dans la terre et dort.
"Des plaisanteries fusèrent sur les capacités meurtrières du khorkhoï. Tseven le prit mal et, se renfrognant sévèrement, il dit quelques mots à Danzan.
"-- Il dit quils ne rient que parce quils ne connaissent ni ne comprennent rien, traduisit le jeune géologue. Lolgoï-khorkhoï, cest une chose terrible !... "
On le voit, la réalité et la fiction se rejoignent, et le récit fantastique de 1954 était à lévidence fortement inspiré du vécu de lauteur. Il y a toutefois des détails sur lanimal cités dans la version romanesque, qui ne figurent pas dans La route des vents, comme la couleur de lanimal, son mode de progression, ou encore lorigine de son pouvoir létal : il apparaîtra en fait, avec les rapports qui vont suivre, que là encore, Ivan Efrémov na rien inventé...
Quelques années plus tard, on trouve encore une mention de lolgoï-khorkhoï dans le dictionnaire de la langue mongole de Tsevel (1966), qui en donne la définition suivante :
"olgoï-khorkhoï : zool. Ver vivant dans les régions de Gobi, de forme semblable à un gros intestin, extrêmement venimeux, sur lequel il nexiste pas dobservations."
Pas dobservations ? Voilà qui nest pas tout à fait exact : le lointain cousin du ministre mongol, cité par Roy Chapman Andrews, en était la preuve. Et du reste, il devait y avoir eu des observations récentes, pour que la description de lanimal fût aussi unanime, comme le reconnaissaient les deux paléontologues.
Peu après, Jaroslav Mares, un cryptozoologue tchèque, recueillit des rumeurs sur lolgoj chorchoj (orthographe tchèque pour olgoï-khorkhoï) au cours dun voyage en Mongolie, comme il la rapporté en 1993 seulement :
"Jétais moi aussi en Mongolie en 1967, à Nemegt, et jentendis parler de ce ver. Mais toutes les informations étaient de deuxième main."
Dautres informations sur lolgoï-khorkhoï ont été publiées par les géographes mongols B. Avirmed et P. Tsolmon dans la revue Chindjlekh Uxaan Amdral en 1991 :
"Ces derniers temps [...], on parle de plus en plus des "animaux cachés", parmi lesquels lolgoï khorkhoï à propos duquel les informations ou les hypothèses suscitent lintérêt.
"Si lon considère les informations et témoignages de personnes qui lauraient vu, les conclusions sont contradictoires. Deux définitions différentes de son aspect apparaissent. Daprès ce quont écrit les géographes soviétiques A. D. Simoukov et V. A. Kazakévitch, cest un gros invertébré qui vit dans les vallées chaudes où pousse le saxaul, il a un corps blanc et brillant, il vit sous terre, il est de la largeur dun poignet, et atteint jusquà un mètre de long, il est venimeux, gastéropode (littéralement se déplace sur le ventre), amphibien (littéralement a deux territoires).
"Mais daprès les descriptions de quelques personnes qui lont vu, lolgoï khorkhoï est un animal qui vit principalement sous terre, qui a la forme dun intestin rempli de sang, avec des membres avant très développés en forme de pelle.
Larticle dAvirmed et Tsolmon appelle quelques remarques. Si l'on excepte la mention de membres antérieurs, rien de fondamental ne semble opposer les deux créatures. En fait, Avirmed et Tsolmon ne font qu'ajouter à la confusion en supposant que l'olgoï-khorkhoï n'est qu'une grande taupe, hypothèse parfaitement invraisemblable.