Institut Virtuel
de
Cryptozoologie

 

L'ours de l'Atlas a vraiment existé

par Michel Raynal

(dernière mise à jour : 28 juillet 2009) 

  

    Dans un livre pour les petits enfants intitulé Raymond Floyd goes to Africa (1993), Mrs. Moose (de son vrai nom Babs Murdock) imagine un ours en peluche qui réussit à partir en voyage pour l'Afrique, au grand étonnement de la faune locale, qui rencontre un ours pour la première fois.

    Officiellement, il n'y a pas d'ours en Afrique, ce qui est d'ailleurs le sous-titre du livre de Babs Murdock (there are no bears in Africa). Pourtant, depuis l'Antiquité jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle, on a signalé la présence, en Afrique du nord, d'un ours incongru que l'on a appelé "ours de l'Atlas".
    Son existence jusqu'à l'époque historique a été, et demeure encore, âprement discutée, même si des zoologues réputés admettent plus ou moins l'existence passée de cet ours, bien qu'on n'en possède pas une seule dépouille dans aucun musée du monde.
    Le dossier de l'ours de l'Atlas est d'ailleurs boudé par la plupart des cryptozoologues, à l'exception notable de l'excellent et très prolifique Karl P. N. Shuker (mais sur quoi n'a-t-il pas encore écrit ?), dans un de ses articles pour la revue fortéenne Fate, et de Bernard Heuvelmans dans un manuscrit hélas toujours en attente de publication (Les ours insolites d'Afrique, écrit en 1982). Sans vouloir prétendre à l'exhaustivité prévisible que je suppose caractériser cet ouvrage inédit (comme tous ceux déjà publiés par Bernard Heuvelmans), je donne ici quelques éléments sur cette énigme, qui vient de connaître tout récemment un rebondissement spectaculaire.

 

Des ursidés fossiles

    Précisons tout de suite que s'il n'y a pas d'ours en Afrique (officiellement en tout cas), tout le monde s'accorde pour reconnaître qu'il y en a eu dans la préhistoire. On possède en effet des fossiles d'ours trouvés en Afrique du Nord, datant du pléistocène et même de l'holocène.
    Une parenthèse géologique s'impose ici. Il y a quelques millions d'années, l'Europe et l'Afrique étaient en effet reliées, au niveau de l'actuel détroit de Gibraltar, par une sorte de pont continental. La Méditerranée n'était alors qu'un immense étang d'eau saumâtre, l'évaporation intense étant supérieure à l'apport des fleuves et des pluies, comme l'attestent les énormes dômes de sel repérés par diverses missions océanographiques (comme celles du Glomar Challenger) : c'est un courant marin de l'Atlantique qui comble aujourd'hui ce déficit dû à l'évaporation, et qui était du reste utilisé par les sous-mariniers italiens durant la guerre de 40 (de retour de mission dans l'Atlantique, tous moteurs éteints, ils échappaient ainsi à la surveillance des Anglais de Gibraltar). C'est donc par ce pont continental que des échanges de faune dans les deux sens ont pu avoir lieu à cette époque, ce qui explique du reste que l'Afrique du nord soit rattachée par les spécialistes de la zoogéographie à la région paléarctique (qui couvre principalement l'Europe et l'Asie centrale et septentrionale). En particulier, des ours venus "à pied sec" de l'Espagne actuelle, ont ainsi conquis l'Afrique du nord, et y ont fait souche.
    Puis, voici quelque 5 millions d'années, le détroit de Gibraltar s'ouvrit, avec pour conséquence, entre autres choses, de couper de l'espèce mère les "ours nord-africains". Mais ces derniers continuèrent à vivre sur place sans apport génétique "européen", et ce jusqu'au paléolithique supérieur, il y a une dizaine de milliers d'années environ.
    Le problème qui nous occupe ici est que, très vraisemblablement, ces ours vécurent en fait jusqu'à l'époque historique, et peut-être même jusqu'au début du vingtième siècle.

 

Le bestiaire fabuleux d'Hérodote

    Avant de passer en revue les différents rapports que l'on possède sur l'ours de l'Atlas, je dois rapporter une anecdote que je dois à mon père, René Raynal. Il m'a raconté très peu de temps après l'avoir vue, une émission de télévision diffusée le 21 août 1979 sur la première chaîne française TF1, et intitulée "Sur la piste de la Dame Blanche", dans la série Le Monde sans Soleil. On y voyait des Touareg conduire l'équipe de tournage vers un des sites rupestres de l'Afrique du Nord, où des hommes préhistoriques ont peint les animaux sauvages qui y vivaient à leur époque. Or, selon mon père, une des peintures rupestres, apparemment du 1er millénaire avant notre ère, représentait un ours, ce qui était d'ailleurs dit textuellement dans le commentaire en voix off. Je n'avais jamais pu obtenir confirmation de cette information, que le spécialiste des fresques du Tassili, Henri Lhote, réfutait avec la dernière énergie. Toutefois, le professeur Franco Tassi, directeur du Parco Nationale d'Abruzzo (parc national des Abruzzes), m'a confirmé avoir photographié au Tassili ce qu'il pense bien être une représentation d'ours.

    A ma connaissance, donc, le plus ancien témoignage historique sur la présence d'ours en Afrique du nord, est celui de l'historien grec Hérodote, considéré d'ailleurs comme le "père de l'histoire", au cinquième siècle avant J.C. Décrivant la "Libye", un terme qui désignait à cette époque l'Afrique du nord en général (et pas seulement la Libye actuelle), Hérodote apporte les précisions suivantes dans le quatrième livre ("Melpomène") de ses Histoires :

    "[...] la partie occidentale, celle des cultivateurs, est très montagneuse, boisée et riche en bêtes. C'est chez eux que se trouvent les serpents de très grande taille, les lions, les éléphants, les ours, les aspics, les ânes portant des cornes, et les cynocéphales et les acéphales qui ont leurs yeux dans la poitrine, du moins à ce que disent d'eux les Libyens, et les hommes et les femmes sauvages..."

    Bien que cette énumération ait de quoi surprendre ceux qui ont parcouru le Maghreb actuel, correspondant à la "partie occidentale" de la Libye d'Hérodote, elle est parfaitement explicable. Qu'on en juge :

  • Les serpents de très grande taille se rapportent peut-être au python de Seba (Python sebae) : il est aujourd'hui confiné à l'Afrique tropicale, mais il n'est pas impossible que son aire de répartition fût jadis plus étendue bien plus au nord, lorsque le Sahara était encore verdoyant, il y a quelques millénaires, comme en témoignent les fresques et gravures rupestre du Tassili.

  • Le lion de Barbarie (Panthera leo leo) a survécu en Algérie jusqu'au début du vingtième siècle. Pour la petite histoire, rappelons le roman d'Alphonse Daudet, Tartarin de Tarascon (1872), inspiré du célèbre Dijonnais Charles Bombonnel ("le tueur de panthères"), où le héros, chasseur du dimanche, va chasser le lion en Algérie à l'époque où il y en avait encore.

  • L'éléphant d'Afrique du nord doit réveiller des souvenirs aux latinistes qui ont planché sur "le général borgne perché sur l'éléphant gétule". On se souvient en effet que c'est avec des éléphants d'Afrique (Loxodonta africana), capturés en Tunisie, et transformés en chars de combat avant l'heure, que le général carthaginois Hannibal avait entrepris son audacieuse expédition autour de la Méditerranée pour prendre Rome à revers.

  • L'aspic ou cobra est toujours présent en Afrique du nord (rappelons que la reine Cléopâtre se suicida en se faisant mordre par un aspic).

  • Les ânes à cornes posent un premier problème. Il s'agit peut-être du rhinocéros, représenté dans l'art rupestre de l'Afrique du nord ; cette hypothèse est d'autant plus plausible que la première description de la licorne par Ctésias, dans laquelle on a cru reconnaître le rhinocéros de l'Inde (Rhinoceros unicornis), parle d'un animal ressemblant à l'âne et portant une corne. Mais il est également possible qu'il s'agisse d'un animal voisin de l'okapi (Okapia johnstoni), ce giraffidé de l'Afrique centrale décrit seulement en 1901 : plus précisément, un représentant du genre fossile Libytherium, puisqu'un tel mammifère semble représenté sur les fresques du Tassili.

  • Les cynocéphales (les hommes "à tête de chien") peuvent se rapporter aux singes que l'on a justement appelés cynocéphales.

  • Les acéphales (les hommes "sans tête"), comme l'a démontré Bernard Heuvelmans avec maestria dans son livre Les bêtes humaines d'Afrique (1980), désignent en fait les populations nomades de l'Afrique du nord, en particulier les Touareg, qui se déplacent sans cap précis : la notion de cap est en effet souvent associée à celle de tête ("cap" vient d'ailleurs du latin caput, la tête, et cette association se retrouve jusque dans l'expression populaire "perdre la boussole", qui signifie "perdre la tête"). Pour rester "logique", on accordait quand même à ces Acéphales des yeux, que l'on plaçait en général sur la poitrine ou parfois sur les aisselles.

  • En ce qui concerne les hommes et les femmes sauvages, Bernard Heuvelmans (1980) a proposé de les rapprocher des Néanderthaliens d'Afrique du nord, de même que les gorillai décrits dans le périple de Hannon.

  • Reste finalement l'ours, un animal somme toute très raisonnable dans l'énumération à première vue surréaliste d'Hérodote.

 

    On prétendra ensuite que les divers protagonistes du dossier de l'ours de l'Atlas n'ont fait que répéter les écrits d'Hérodote. Outre que des témoignages circonstanciés vont bientôt se succéder, il y a une raison psychologique qui va à l'encontre de cette hypothèse. De tous les animaux fabuleux mentionnés par Hérodote, pourquoi avoir choisi le moins extraordinaire, je dirais le plus banal, de tous ? Pourquoi pas les cynocéphales, et surtout les hommes et les femmes sauvages ? Pourquoi justement l'ours, l'animal le plus plausible, du point de vue zoogéographique, paléontologique et écologique ?

    Ce n'est en fait pas seulement dans la "partie occidentale" de l'antique Libye qu'Hérodote plaçait cet animal. Dans le deuxième livre de ses Histoires, il évoque en effet sa présence en Égypte, donc à l'extrémité orientale du continent africain :

    "On transporte à Buto les musaraignes et les éperviers, et les ibis à Hermopolis ; mais les ours, qui sont rares en Égypte, et les loups, qui n'y sont guère plus grands que des renards, on les enterre dans le lieu même où on les trouve morts."

    Autrement dit, contrairement à d'autres animaux sacrés comme le crocodile ou le chat, ces "ours" et ces "loups" n'étaient pas momifiés. En fait de "loups" de petite taille, il ne fait guère de doute qu'il s'agit du chacal. Quant aux ours, un autre rapport égyptien doit être mentionné pour l'antiquité gréco-romaine.
    Lorsque Ptolémée II, dit Ptolémée Philadelphe, devint roi d'Égypte, vers 285 avant J.C., il célébra son accession au trône par une procession triomphale à Alexandrie. Dans le livre V de son Athenaeus, est décrite minutieusement toute la magnificence de ce sacre, interminable procession de chariots remplis de mille richesses, et tirés par les animaux les plus divers : éléphants, antilopes, buffles, autruches, zèbres, lions, chameaux (comprendre dromadaires)... et de "grandes ourses blanches". S'il s'agissait bien d'animaux de la région, comme semble le montrer l'énumération des autres créatures, il ne pouvait s'agir d'un véritable ours blanc (Ursus (Thalarctos) maritimus), qui est confiné aux régions arctiques. Nous verrons plus loin ce qu'il convient de penser de ces ours orientaux, car il apparaîtra bien vite que nous avons affaire à des rapports bien distincts entre les deux régions.

 

L'ours de l'Atlas, bien connu des Romains

    La présence d'ours en Afrique du nord, et plus précisément au Maghreb actuel, fut d'ailleurs unanimement rapportée par les auteurs de l'Antiquité.
Des générations de latinistes ont peiné à traduire les vers de Virgile, qu'ils soient tirés des Bucoliques, des Géorgiques et surtout de L'Énéide (Aeneidos), son célèbre poème épique, écrit à partir de 29 avant J.C. N'oublions pas en effet que cette épopée relate les aventures d'Énée, héros de la guerre de Troie, qui trouve refuge à Carthage (Tunisie actuelle). Et Virgile y fait lui aussi allusion, à deux reprises, à des ours en Afrique :

    "Aceste accourt, hérissé sous ses javelots et sous la peau d'une ourse libyenne (occurrit Acestes, horridus in iaculis et pelle Libystidis ursae)."
"[Evandre] introduisit le grand Énée; il le fit reposer sur une couche de feuilles, recouverte de la peau d'une ourse de Libye. (ingentem Aenean duxit stratisque locavit effultum foliis et pelle Libystidis ursae)."

    Loin des hexamètres dactyliques et autres artifices de la versification latine, l'historien grec Strabon restait pour sa part très prosaïque et factuel. Il écrivait en effet dans sa Géographie, au tournant de l'ère chrétienne, à propos des Maures :

    "Les fantassins utilisent des peaux d'éléphants comme boucliers et ils s'habillent de peaux de lions, de léopards et d'ours, et y dorment dedans."

    Quant au naturaliste Pline l'Ancien, qui devait disparaître dans l'éruption du Vésuve en 79 de notre ère, s'il manifestait son scepticisme sur la présence d'ours en Afrique, il n'en     rapportait pas moins dans le huitième livre de ses Historiae naturalis (histoires naturelles) une anecdote significative pour notre propos :

"Les annales rapportent que, sous le consulat de Pison et de Messala, le quatorzième jour avant les calendes d'octobre, Domitius Ahénobarbus, édile curule, fit combattre dans le cirque [de Rome] cent ours numides contre autant de chasseurs éthiopiens. Je m'étonne de cet adjectif de numides, puisqu'il est connu que l'Afrique n'engendre pas d'ours."

    Ce massacre gratuit de 100 ours nord-africains se déroulait vers 61 avant J.C. En tout cas, si l'information était exacte, cela ne pouvait qu'accélérer l'extinction rapide de l'ours de l'Atlas, même si elle est due essentiellement aux modifications climatiques et écologiques de la région : recul de la forêt, avancée du désert, baisse de la pluviosité, etc. On peut s'étonner du nombre effarant d'animaux mis à mort, mais ce type de spectacle était hélas de règle dans la Rome antique. Au cours des 26 venationes bestiarum africanarum (chasses de bêtes africaines) données du temps d'Auguste, pas moins de 3500 animaux furent mis à mort. En 80 de notre ère, Titus fit de même avec 9000 animaux, tant sauvages que domestiques, qui furent tués notamment par des femmes. Trajan fut responsable d'une boucherie encore plus massive, de 11 000 animaux, pour célébrer son triomphe en Dacie. La palme du raffinement dans la cruauté revient toutefois à l'empereur Commode (Commodus), immortalisé au cinéma dans le célèbre peplum d'Anthony Mann La chute de l'empire romain (1964, avec Sophia Loren, Stephen Boyd, Alec Guinness, James Mason et Christopher Plummer), repris beaucoup plus récemment par Ridley Scott dans Gladiator (2001) : Commode avait coutume de descendre lui-même dans l'arène affronter les gladiateurs ou les animaux, et c'est ainsi qu'il il tua de ses propres mains 100 ours, 6 hippopotames, 3 éléphants, des rhinocéros, un tigre, une girafe, et même des autruches qu'il décapitait avec des flèches à la pointe en forme de faux, et qui continuaient de courir après qu'il leur eût tranché le cou.
    La remarque de Pline suivant laquelle l'Afrique n'abrite pas d'ours, a conduit certains auteurs anciens à prendre cette remarque pour argent comptant. Juste Lipse, dit Justus Lipsius (1585), notamment, prétendra que les Romains désignaient les lions sous le nom "d'ours numides", une affirmation gratuite qui sera démontée par Claude Saumaise, dit Claudius Salmasius (1629). Quant à la fiabilité des commentaires de Pline, elle laisse souvent à désirer, y compris sur la présence ou l'absence de grands mammifères en Afrique, puisqu'il affirme à la fin du même livre VIII de ses Historiae naturalis :

    "Et en Afrique il n'y a ni sangliers, ni cerfs, ni chevreuils, ni ours. (in Africa autem nec apros, nec cervos, nec capreas, nec ursos)"

    Le compilateur romain était visiblement très mal informé, puisque les trois premiers animaux, sans même parler de l'ours, sont parfaitement connus de la faune nord-africaine.

    Dans un registre beaucoup plus pacifique que les massacres d'ours rapportés par Pline, le poète Martial, auteur de railleries satiriques regroupées dans ses Épigrammes, écrivait pour sa part vers 90 de notre ère :

    "Le léopard porte un joug de fantaisie sur son cou tacheté, les tigres féroces endurent le fouet sans réagir, les cerfs mâchent les freins d'or de leurs rênes, les ours de Libye obéissent à la bride (quod frenis Libyci domantur ursi)."

    Juvénal, auteur de Satires pleines de verve, dénonçant la Rome dissolue de son temps (vers 100 de notre ère), évoque également notre protégé, hélas mis à mort dans l'arène privée de Domitien à Albe :

    "Il ne lui servit donc à rien, le pauvre, de percer les ours numides en des combats corps à corps, chasseur sans armure dans l'arène d'Albe (profuit ergo nihil misero, quod comminus ursos figebat numidas Albana nudus harena uenator)."

    L'historien Dion Cassius, au troisième siècle de notre ère, fait lui aussi état, comme Pline l'Ancien avant lui, des archives romaines :

    "Publius Servilius se fit aussi un nom parce que lorsqu'il était praetor il causa la mise à mort lors d'un spectacle de trois cents ours et d'autres bêtes sauvages africaines en nombre égal."

    Ce nouveau massacre d'ours africains se déroulait vers 25 avant J.C. et Dion Cassius en révèle un autre sous l'empereur Gaius en 37 après J.C.

    Caius Julius Solinus, dit Solin, géographe et naturaliste du troisième siècle de notre ère, auteur du Polyhistor, affirmait pour sa part :

    "Les ours de Numidie l'emportent sur les autres, mais seulement par la fureur et par la longueur de leur poil."

    Et Solin rapporte l'anecdote sur un combat de cent ours numides contre cent chasseurs éthiopiens, que Pline avait déjà commentée.

    Némésien, poète latin du troisième siècle, né à Carthage (dans l'actuelle Tunisie), est l'auteur de poèmes sur la navigation, la pêche et la chasse. On lui doit spécialement les 325 vers des Cynegetica, où il donne des conseils pour construire des épouvantails :

    "Ils effrayent comme la foudre les ours, les sangliers énormes, les cerfs timides, les renards, les loups courageux, et les empêchent de franchir la redoutable barrière."

    L'ours de l'Atlas était d'ailleurs apparemment si bien connu dans le monde antique, qu'il était représenté dans l'art. Dans son ouvrage Histoire ancienne de l'Afrique du Nord (1920), Stéphane Gsell notait que des ours sont souvent figurés sur des mosaïques romaines du Maghreb actuel (figure 1) mais il est vrai que cela ne signifie pas nécessairement qu'il s'agisse de représentations d'ours autochtones. Il est pourtant probable qu'il en soit bien ainsi.


Figure 1 : ours en train de se battre (mosaïque romaine d'El Jem, Tunisie)

    Une analyse de 45 représentations d'ours (2 de Libye, 38 de Tunisie, 4 d'Algérie et 1 du Maroc) dans l'art romain d'Afrique du Nord est en effet révélatrice. Elles consistent en 23 mosaïques, 16 lampes, 3 fragments de moules, 1 statuette incomplète, 1 peinture sur un récipient à vin (oenochoé) et 1 peinture sur cippe (petite stèle funéraire). Sur 18 d'entre elles, l'ours est représenté en compagnie d'autres animaux, dont 12 en compagnie d'animaux vivant en Afrique du Nord : lion, panthère, guépard, civette, sanglier, antilopes diverses (dont gazelles), bubale, buffle, taureau, éléphant, hippopotame, cerf, daim, âne, cheval domestique, singe (dont cercopithèque), lièvre, autruche, pie, perroquet, perdrix, vipère, tortue, etc. Sur les seules 6 représentations où l'ours est figuré avec un animal non africain, il s'agit uniquement du tigre, qui devait faire l'objet d'une importation, bien que l'existence en Afrique d'un félin rayé inconnu de la science ne saurait être rejetée a priori (Heuvelmans 1982, non publié).

    Un exemple typique de ce type de document artistique a été commenté en 1977, par Claude Lapeyre et André Lopez, dans dans un article du Bulletin de la Société d'Étude des Sciences Naturelles de Béziers, consacré aux représentations animales des mosaïques de la Maison d'Orphée à Volubilis au Maroc, datant du troisième siècle de notre ère. Les deux membres de la société savante biterroise ont fait remarquer que la faune nord-africaine au début de l'ère chrétienne était beaucoup plus riche qu'elle ne l'est de nos jours, et consistait en un mélange d'apports faunistiques des régions paléarctique et éthiopienne. Selon les deux auteurs, on reconnaît effectivement sans peine, sur les mosaïques de la maison d'Orphée, l'éléphant d'Afrique (Loxodonta africana) avec ses larges oreilles et son dos convexe qui le distinguent de l'éléphant d'Asie, une antilope (peut-être Oureba ourebi), un cervidé, un singe (cercopithèque ?), un quadrupède (peut-être une civette, Civettictis civetta), une lionne (Panthera leo), etc., et enfin un ours (figure 2) :


Figure 2 : l'ours de l'Atlas sur une mosaïque romaine à Volubilis
(photo André Lopez, d'après Lapeyre et Lopez 1977)

    "Un ours est dessiné dans le secteur occidental jouxtant les deux compartiments détruits. Sa morphologie est d'emblée reconnaissable ; il s'agit d'un quadrupède lourd, au cou massif, au museau en cône tronqué et dont la queue est rudimentaire. Les pattes sont puissantes et leurs plantes s'étalent largement sur le sol, en assurant un appui solide. Contrairement à Hérodote et à Martial qui font allusion à des "ours libyens", Pline a contesté l'existence de plantigrades en Afrique. Il est cependant indéniable qu'une variété locale de l'ours brun (Ursus arctos) a vécu au Maroc et subsisterait peut-être encore dans la région de Tétouan. Cet Ursus arctos crowtheri, descendant "d'immigrés" venus d'Espagne avant l'ouverture du détroit de Gibraltar, a fort bien pu inspirer le mosaïste de la maison d'Orphée."

    Nous verrons plus loin ce qu'il en est de cet "ours de Crowther". Ce qui est certain, c'est la représentation d'un ours dans la faune nord-africaine du début de l'ère chrétienne, aux côtés d'autres espèces dont certaines ont également disparu, comme l'éléphant ou le lion.

 

Témoignages de voyageurs occidentaux

    Par la suite, maints témoignages furent recueillis sur la présence d'ours en Afrique du Nord. C'est ainsi qu'à l'occasion de son triple couronnement en l'an 800 (tout à la fois comme empereur, César et Auguste), Charlemagne reçut des présents de monarques orientaux, dont le calife Haroun al-Rachid. L'émir de Kairouan (l'actuelle Tunisie), Ibrahim ben-Aglad,  fit pour sa part don à l'empereur des Francs de "cadeaux diplomatiques" qui ont été consignés par les chroniqueurs de l'époque, comme Eginhard ou un moine anonyme de l'abbaye de Saint-Gall : du fer d'Ibérie (Espagne), de la pourpre de Tyr, mais aussi les reliques de Saint-Cyprien, un lion de la Marmorique (Libye), et enfin "un ours numide".

    Un voyageur espagnol, Pedro Tafur, au service du roi Juan II de Castille, visita la côte marocaine en 1436, et il coucha par écrit  le récit de ses aventures en 1453. Le manuscrit ne fut tiré de l'oubli qu'en 1874 par Marcos Jiménez de la Espada. Parlant de la région de Ceuta (qui est encore de nos jours une enclave espagnole en territoire marocain), Tafur citait quelques-uns des animaux les plus emblématiques :

    "Dans ces montagnes de Cepta [Ceuta] se trouvent plus de lions royaux qu'en toute autre partie du monde, et des porcs-épics, et des singes, et des onces, et des ours, et des porcs en grand nombre."

    Les "lions royaux" désignent le lion de Barbarie (Panthera leo), les singes sont très probablement des magots ou macaques berbères (Macaca sylvanus), les "onces" des léopards (Panthera pardus), et les "porcs" peut-être des sangliers. Et le porc-épic à crête (Hystrix cristata) se rencontre effectivement en Afrique du Nord.

    Un autre rapport espagnol remontant au seizième siècle a été exhumé par Elie de la Primaudaie (1875). L'auteur y traduit un document datant de l'occupation espagnole de Bône, où le capitaine Gomez, qui gouvernait la citadelle à cette époque, signalait à son souverain que les poissons abondaient dans la Seybouse et dans l'oued Bou-Djemaâ, au point qu'on les pêchait en les assommant à coups de bâton ! Selon le capitaine espagnol, la région de l'Edough était aussi giboyeuse que l'oued était poissonneux :

    "Ils [les Arabes] disent que la montagne est très-giboyeuse. On y trouve des lions, des porcs-épics, des ours, des sangliers, des lièvres, des lapins, des perdrix.."

    Ce témoignage est également cité, quoique de manière plus vague, par Louis Robin dans son Livre des sanctuaires de la nature (1954). Claude-Maurice Robert, qui le mentionne dans un article pour la revue Pieds-Noirs d'Hier et d'Aujourd'hui d'octobre 1999, doute que l'ours ait pu vivre dans l'Edough en 1535, dont le climat était ce qu'il est aujourd'hui, concluant que les Pyrénées ne sont pas la Numidie. Cette remarque semble dictée par la croyance que l'ours est forcément un animal vivant sous un climat froid, alors que plusieurs espèces d'ours, notamment en Asie, vivent dans des régions tropicales. L'acclimatation (le mot dit bien ce qu'il veut dire) de l'ours brun dans de nombreux parcs zoologiques montre qu'il se satisfait de conditions climatiques beaucoup moins restrictives, il lui suffit en fait de trouver un habitat acceptable et une nourriture suffisante. L'Edough du seizième siècle, avec ses montagnes, ses grottes, sa flore de forêt méditerranéenne (chêne vert, châtaigner, pin maritime, etc.) et sa faune encore préservées, était un milieu parfaitement adapté à l'ours. Notons d'ailleurs que les conditions climatiques dans les Pyrénées espagnoles ou dans les Balkans, où vivent encore des ours, avec des étés torrides et des hivers enneigés, ne diffèrent pas significativement de celles de l'Edough (et plus généralement de l'Atlas). Du reste, nous verrons plus loin que des rumeurs et même des rapports circonstanciés sur la survivance d'ours justement dans cette région, ont été enregistrés jusqu'au dix-neuvième siècle.

    Prospero Alpini, dit Prosper Alpin, fit après des études de médecine un voyage en Égypte, où il resta de 1581 à 1584. Il en a ramené une histoire naturelle, où il écrit notamment, à propos des quadrupèdes sauvages de ce pays :

    "Les ours, les loups et les renards ne sont pas inexistants dans cette province, bien qu'ils n'y soient pas nombreux. Les ours ne sont pas plus grands que nos brebis ; ils sont tous presque blancs ; ils sont moins féroces que ceux de chez nous et se domestiquent plus facilement."

    Ce n'est pas le premier rapport concernant l'Égypte. Nous avons en effet déjà vu qu'Hérodote, au cinquième siècle avant notre ère, écrivait que les ours y étaient rares, et que le pharaon Ptolémée II exhiba des "ourses blanches" lors de son couronnement au troisième siècle avant notre ère.
    Des ours sont d'ailleurs représentés clairement dans l'art de l'Égypte antique. On voit notamment des ours tenus captifs par une corde autour du cou dans la pyramide de Sahouré (figure 3).


Figure 3 : ours captifs représentés dans la pyramide de Sahouré.

    Dans la tombe de Rekhmirê, "vizir" de Touthmosis III sous la dix-huitième dynastie (vers 1500 avant notre ère), une fresque murale montre les peuples vassalisés venant porter le tribut au pharaon ; une délégation, généralement considérée comme syrienne, apporte les présents les plus insolites (figure 4) : non seulement des vases contenant sans doute des vins ou de l'huile d'olive, ou encore un lingot de cuivre provenant certainement de Chypre, mais aussi un ours et un curieux éléphant nain. Ce dernier a suscité bien des discussions entre ceux qui n'y voient qu'un banal éléphant et ceux qui en ont fait une forme de mammouth nain (Brentjes 1969, Rosen 1994). Je pense pour ma part qu'il s'agit d'une représentation d'un authentique éléphant pygmée (Palaeloxodon falconeri), comme ceux qui vivaient jusqu'au pléistocène supérieur dans plusieurs îles de la Méditerranée : bien que les restes fossiles les plus récents datent d'une dizaine de milliers d'années, sa survivance jusqu'au deuxième millénaire avant notre ère n'a rien d'invraisemblable (Manlius 1997). Du reste, des datations récentes au carbone 14 ont montré que des éléphants nains ont survécu dans l'île de Tilos beaucoup plus tardivement que ce que l'on croyait auparavant, jusque vers 2000 avant notre ère, rendant l'identification de l'éléphant miniature de la tombe de Rekhmirê avec ce proboscidien holocène encore plus plausible (Masseti 2001).


Figure 4 : ours et éléphant nain peints sur la tombe du vizir Rekhmirê.

    Reste le cas de l'autre animal insolite de la tombe du vizir de Touthmosis III, à savoir le petit ours. Nicolas Manlius (1998), dans un article très documenté, a mis ces données tirées de l'histoire et de l'iconographie égyptiennes en relation avec un ours bien distinct de celui de l'Atlas, à savoir l'ours de Syrie (Ursus arctos syriacus), dont une population a pu survivre dans le Sinaï jusqu'aux temps historiques. Le pelage très clair et la petite taille de cette sous-espèce de l'ours brun s'accordent bien avec les détails donnés par Prosper Alpin, voire Ptolémée Philadelphe.

 

    En 1724-1725, le docteur Jean-Antoine Peysonnel et René-Louiche Desfontaines firent un voyage, sur ordre du jeune roi Louis XV, dans ce qu'on appelait alors la Barbarie, et plus précisément dans le nord de l'Algérie et de la Tunisie actuelles. Leur relation de voyage n'a été publiée qu'un siècle plus tard, en 1838, par un spécialiste de Tacite, Dureau de la Malle. Les deux voyageurs décrivent le pays des Ouled Darix, à 4 lieues de La Calle, pour évoquer les craintes des bergers locaux :

    "Comme ce pays est rempli de lions, de tigres, d'ours et de plusieurs autres animaux sauvages, les troupeaux des Arabes sont souvent inquiétés, et les Arabes mêmes ne sont pas en sûreté dans leurs tentes."

    Nous avons déjà relevé la présence apparemment incongrue de "tigres" dans l'art romain de l'Afrique du Nord. Il se peut bien sûr qu'il s'agisse d'une erreur, auquel cas la mention de l'ours serait également suspecte, mais l'existence récente de grands félins rayés inconnus sur le continent noir, sans doute apparentés aux félins à dents en sabre de la préhistoire, semble attestée par un dossier très épais (Heuvelmans 1982). On retrouve d'ailleurs une semblable énumération dans l'ouvrage de Jacques Philippe Laugier de Tassy, Histoire du royaume d'Alger, publié en 1725 :

    "Il y a dans ces forêts des lyons, des léopards, des tigres, des ours, des austruches, des porcs-épics, des sangliers, des cerfs, des caméléons, des élans, des chèvres au musc, des civettes, des gazelles, des vaches sauvages faites tout autrement que les privées, des chats qu'ils appellent garde-lions..."

    L'Anglais Thomas Shaw, auteur d'un Voyage dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant (1743), a lui aussi mentionné l'ours dans les monts Atlas. Mais alors qu'il consacre un paragraphe à chaque espèce, il termine son étude de la faune en citant l'ours au milieu d'une simple énumération, montrant qu'il en a seulement entendu parler, et n'en a pas vérifié personnellement l'existence :

    "Outre les animaux dont je viens de parler, la Barbarie en nourrit aussi qui ne sont pas inconnus dans d'autres pays. De ce nombre sont le dubh ou l'ours, le shaddy ou le singe, le tezer-dea ou l'ichneumon, le tzar-ban ou porc-épic, le kun-foode ou le hérisson, le thaleb ou le renard, le nimse ou le furet, le fert-el-heile ou la belette ; de plus, la taupe, le lapin, le lièvre et le sanglier, de tous lesquels il y a un grand nombre."

    Fernand Lataste (1885) émit des doutes sur ce rapport, car la taupe n'existe pas en Afrique du nord.

    L'abbé Jean-Louis Marie Poiret, envoyé par le roi Louis XVI en Algérie (en Barbarie, comme on disait alors) en 1785-86. Son ouvrage Voyage en Barbarie fut publié en 1789, l'année de la Révolution française, qui allait entraîner le renversement de la monarchie, puis la décapitation de Louis XVI, mais aussi, indirectement, l'abandon de la prêtrise par Poiret, qui ainsi défroqué put se marier... L'abbé Poiret était un excellent naturaliste, spécialement botaniste, et on lui doit un témoignage personnel sur l'existence de l'ours de l'Atlas :

    "Le climat brûlant de l'Afrique ne convient point à l'ours, qui ne se plait qu'au milieu des neiges et des glaces. Cependant, comme le mont Atlas s'élève très-haut dans le royaume d'Alger vers celui du Maroc, et que plusieurs montagnes sont couvertes d'une neige presque continuelle, les ours bruns y habitent ; ils sont très carnassiers ; quelquefois ils descendent dans les plaines. Pendant mon séjour chez Aly bey, à la Mazoule, un Arabe rapporta la peau d'un ours qu'il avait tué à la chasse. L'opinion que l'ours lance des pierres, quand il est poursuivi, est admise chez les Arabes comme parmi les peuples d'Europe. Cet Arabe me montra une blessure qu'il avait reçue à la jambe, étant poursuivi, disait-il, à coups de pierres par l'ours dont il rapportait la dépouille. Ce rapport ne me convainquit point, étant très-possible que ce chasseur, poursuivi par l'ours, ait frappé le pied contre quelque pierre et se soit blessé en fuyant un ennemi trop à craindre pour laisser de sang-froid celui qui l'attaque."

    Cette dernière remarque était pleine de bon sens, car on ne voit pas en effet comment un ours pourrait lancer des pierres ! Bien sûr, on pourrait suspecter l'histoire de n'être qu'un canular, mais l'abbé Poiret, botaniste et zoologiste français, était parfaitement capable de reconnaître la dépouille d'un ours.
    Pourtant, Lataste (1885) rejeta ce rapport, au motif que l'abbé Poiret cite également le loup parmi les animaux de la Barbarie, ainsi qu'un singe à longue queue, le "morne", tous deux inconnus de la faune actuelle.

    Charles Jacques Poncet, médecin et apothicaire française établi au Caire en Égypte à la fin du dix-septième siècle, fut envoyé en mission par le roi Louis XIV auprès de l'empereur d'Éthiopie. C'est près de Girana, non loin de Gandar, la capitale éthiopienne de l'époque, que survint un incident impliquant un ours, selon l'auteur :

    "Ce jour-là [24 juin 1699], une de nos bêtes de charge s'étant écartée de la caravane, fut mordue à la cuisse par un ours. La plaie étoit grande et dangereuse : les gens du pays ne firent que lui appliquer un caustique avec le feu, et l'animal fut guéri."

    L'explorateur anglais James Bruce, qui parcourut cette région près de 70 ans plus tard, mit en doute ce témoignage, estimant que Poncet a certainement confondu le mot arabe dubbah, qui signifie hyène, avec dubb, qui signifie ours : c'était donc une hyène, et pas un ours, qui avait attaqué la mule de la caravane du médecin français.

 

Baptême zoologique de l'ours de l'Atlas

    L'ours de l'Atlas fit son entrée dans la nomenclature zoologique à la suite d'une note due au naturaliste britannique Edward Blyth. Celui-ci fit la connaissance d'un compatriote du nom de Crowther, un soldat du 63° régiment de la Reine, qui vécut un temps au Maroc dans la région de Tétouan, et qui eut ainsi l'occasion d'abattre un spécimen en 1834. Cet incident cynégétique fit l'objet d'une communication officielle de la part d'Edward Blyth devant la très savante Zoological Society de Londres, lors de la séance du 10 août 1841 :

    "Questionné à propos de l'ours du Mont Atlas, que l'on suspectait être le syriacus, Mr. Crowther dit qu'il le connaissait bien, et qu'il s'avérait être un animal très différent. Une femelle adulte était de taille inférieure à celle de l'ours noir américain, mais bâtie de manière plus robuste, la face beaucoup plus courte et plus large, bien que le museau était pointu, et les orteils et les griffes étaient remarquablement courts (pour un ours), ces dernières étant particulièrement fortes. Pelage noir, ou plutôt brun sombre, et hirsute, d'environ quatre ou cinq pouces [10 à 13 cm] de long ; mais, sur les parties inférieures, d'une couleur rousse orangée ; le museau noir. Cet individu fut tué au pied des montagnes de Tétouan, à environ vingt-cinq miles [40 Km] de celles l'Atlas. Il est considéré comme une espèce rare dans cette région, et se nourrit de racines, de glands et de fruits. Il ne grimpe pas avec facilité ; et on affirme qu'il est très différent d'aspect de tous les autres ours." (d'après Blyth 1841).

    La dépouille de cet ours fut hélas détruite, mais néanmoins en 1844, le naturaliste Heinrich Rudolf Schinz se servit de ce rapport de deuxième main pour décrire l'ours de l'Atlas comme une espèce nouvelle dans son Synopsis mammalium, sous le nom de Ursus crowtheri, en l'honneur du Nemrod britannique. On trouvera ensuite fréquemment mentionné ce nom scientifique dans la littérature zoologique, parfois réduit au rang de sous-espèce de l'ours brun (Ursus arctos crowtheri). Dans sa révision des ursidés en 1864, le mammalogiste britannique Gray le rebaptisa inconsidérément Helarctos? crowtheri, encore qu'en faisant suivre le nom générique d'un point d'interrogation prudent. Ce genre est en effet associé à une seule espèce connue, l'ours à lunettes de la Cordillère des Andes (Helarctos ornatus).

    Dans une étude sur les vertébrés de l'Algérie, Paul Gervais (1848) notait qu'aucune des personnes qu'il avait consultées n'avait vu d'ours tué dans l'Atlas. Et pourtant en 1852, le docteur Jean-Louis Geneviève Guyon, après avoir rappelé les écrits de Pline et de Solin, et les témoignages de Shaw, Peyssonnel et Poiret, bien qu'il fît remarquer, dans son Voyage d'Alger aux Ziban, l'ancienne Zebe, en 1847, que l'ours n'avait pas été signalé en Algérie depuis une vingtaine d'années que la colonisation française avait débuté, n'en ajoutait pas moins :

    "Cependant, il est vraisemblable qu'il y existe, et que c'est bien à lui que les M'zabites donnent le nom de deb, animal qu'ils mettent au nombre des animaux de leur contrée.
    "Nous ajoutons que, dans une de ses promenades en Algérie, notre célèbre peintre, M. Horace Vernet, vit aussi une peau d'ours, étant à Bône, chez un de ses amis. L'animal avait été tué dans les montagnes voisines, et la peau en était encore toute fraîche."

    D'autres rapports encore plus circonstanciés suivirent. Le capitaine Victor Loche mentionne, dans son Histoire naturelle des mammifères de l'Algérie (1867), une anecdote qui n'est pas sans rappeler le cas de l'ours numide offert à Charlemagne :

    "L'empereur du Maroc a dernièrement envoyé au jardin zoologique de Marseille un magnifique Ours vivant provenant de ses états."

    Comme Loche ne fait pas mention de cette histoire dans une précédente publication sur la faune de l'Algérie (1858), il est probable que l'arrivée de cet ours à Marseille se site entre ces 2 dates (1858 et 1867). Qui sait si par miracle la dépouille de cet ours n'aurait pas été conservée, attendant dans l'incognito sa redécouverte dans les collections du Muséum d'Histoire Naturelle de Marseille ; c'est en tout cas ce qui s'est produit, justement dans ce musée, avec la découverte d'un spécimen naturalisé, conservé probablement depuis 150 ans, d'une espèce nouvelle de gecko (Hoplodactylus delcourti) en 1986 — en fait le plus grand gecko du monde.
    mais était-ce vraiment un don de "l'empereur du Maroc" ? Dans sa Notice sur la régence de Tunis (1858), J. Henry Dunant, qui allait fonder la Croix Rouge quelques années plus tard, évoquait l'intérêt de Sidi-Mohammed, Bey de Tunis, pour les sciences et techniques, affirmant notamment :

    "Dernièrement, Mohammed-Bey envoyait en cadeau au jardin zoologique de Marseille quelques animaux sauvages dont la Direction du jardin avait désiré faire l'acquisition."

    En 1867, dans un article pour les Annales des Sciences Naturelles, Jules-René Bourguignat apporta des preuves matérielles de la survivance jusqu'à l'époque romaine d'un ours de petite taille en Afrique du nord. Dans une caverne du Djebel Thaya, dans la région de Constantine (Algérie), il exhuma quelques ossements fossiles, et notamment trois mandibules d'un ours que le paléontologiste Lartet estima représenter une nouvelle espèce. Mais surtout, Bourguignat avait trouvé un objet de fabrication humaine associé à ces restes osseux :

    "Je dois ajouter que ce qui donnait un mérite tout spécial à cette découverte, c'est que j'avais récolté ces os en compagnie d'une lampe funéraire, d'une lampe romaine s'il en fut, qui, par sa présence, venait prouver l'existence de l'ours en Algérie au commencement de notre ère."

    Selon M. Adrien de Longperrier, à qui Bourguignat montra l'objet, il s'agissait même d'une lampe du type en usage au sixième siècle de notre ère. Quant aux ossements, ils étaient ceux d'un ours des plus petits :

    "Semblable à l'ours malais par la taille, il était trapu, ramassé sur lui-même et court sur jambes. Il possédait une tête relativement grosse, peu allongée, terminée par un museau très étroit, et devait être essentiellement frugivore, d'après sa dentition."

    Les caractères relevés dans l'anatomie des mandibules incitèrent Bourguignat à considérer qu'il s'agissait d'une nouvelle espèce d'ours, à laquelle il donna le nom scientifique d'Ursus faidherbianus, en l'honneur du général Faidherbe.
    Bourguignat interrogea alors M. Letourneux, conseiller à Alger, sur la présence d'ours dans le pays. Letourneux, qui avait parcouru toute l'Algérie, y compris le Sahara, et qui était très au fait de son histoire naturelle, lui communiqua par lettre les informations suivantes :

    "Pendant que j'étais procureur impérial à Bone, j'ai appris des Arabes de l'Edough qu'autrefois, d'après les dires des anciens, il y avait une grande quantité d'ours dans la contrée, et que ces animaux dévastaient surtout les vignes des vergers exposés au midi de l'Edough.
    "Une autre fois, pendant que j'explorai de Djebel-Bou-Abed, entre la Cheffia et la plaine de la Seybouse, les Arabes d'un douar des Ouled-sidi-Bekri m'ont tous affirmé que l'ours existait encore voici une cinquantaine d'années dans leurs montagnes. Un Arabe m'a même raconté qu'un des derniers ours du pays avait été tué par son père. D'après ces habitants, cet ours, petit, trapu, brun, avec une tache blanche sous la gorge, était très friand de miel, aimait beaucoup les fruits et se dressait sur ses pattes de derrière pour combattre.
    "Le caïd Bou-Roubi des Zardeza, dont le territoire s'étend presque jusqu'au Thaya, m'a affirmé souvent qu'il avait vu les traces et qu'il avait entendu les cris de l'ours dans les Djebels Gherar et Debhar."

    On notera que les détails apportés par M. Letourneux s'accordent parfaitement avec le portrait-robot dressé par Bourguignat de son Ursus faidherbianus : un ours de petite taille, trapu, amateur de fruits... Le fonctionnaire algérois ajoutait un dernier témoignage :

    "D'un autre côté, le cheikh Si Mokhtar des Beni-Addi, qui habite actuellement près d'Héliopolis, le même que vous avez rencontré à votre passage à Guelma, enfin le père de celui qui vous a conduit et guidé dans vos explorations de Roknia et du Thaya, m'a assuré également qu'il avait vu plusieurs fois l'ours et qu'il l'avait poursuivi le soir dans la montagne même du Thaya."

    En 1870, Bourguignat reprit ces informations dans une nouvelle note scientifique, en y apportant quelques précisions. Au cours d'une exploration d'une caverne sur cette montagne du Thaya, Si-Mokhtar et M. Letourneux avaient découvert le cadavre d'une vache. Pour le cheikh, c'était un ours qui en était responsable, car s'il était devenu très rare, il représentait encore un danger pour les troupeaux.
    Bourguignat ajoutait dans sa note de nouveaux rapports circonstanciés. Il faisait notamment état du témoignage d'un M. Olivier, qui écrivait dans le journal de Bône La Seybouse du 4 janvier 1868 :

    "J'ai personnellement souvenir qu'il y a quelques années un Arabe, habitant près de Sidi-Abd-es-Selma, m'a dit qu'il était de tradition dans sa famille qu'il y avait anciennement des ours dans l'Edough !"

    Un autre informateur de Bourguignat, Vincent Cocallementi, directeur d'une fabrique de liège, citait pour sa part deux vieux Arabes de l'Edough, Ben-Djemil et Ben-Aoun, qui assuraient que l'ours n'était pas rare jadis dans la montagne, et qu'ils devaient défendre les vergers la nuit contre les déprédations de ces plantigrades.
    Bourguignat put constater que l'ours était bien connu dans la région, au point que le nouveau caïd des Zardeza, Si-Alid-Allah, rapporta à M. Prats, de Guelma, un dicton significatif en usage dans le pays, jusqu'aux environs de Jemmapes et de la Calle (confirmant ainsi les informations de Desfontaines) :

    "Le travail de l'ours réjouit le chasseur d'abeilles."

    L'animal n'était pas seulement connu par la tradition. Un vieil Arabe qui accompagnait Si-Alid-Allah donna à M. Prats d'intéressantes précisions sur ses mœurs, à l'évidence observées sur l'animal vivant :

    "L'ours est très friand de miel ; lorsqu'il découvre un essaim dans le tronc d'un arbre, il y monte, brise l'écorce, enlève le bois, et se gorge de miel. Lorsqu'il s'en est bien repu, il s'éloigne, et le chasseur de miel, guidé par les traces et les débris de l'arbre, recueille facilement la cire que l'ours a dédaignée et le miel qu'il a laissé."

    Le même caïd Si-Alid-Allah affirmait qu'un membre de sa tribu, avait rencontré un ours au sud de Jemmapes à peu près 25 ans auparavant (vers 1845), et qu'il lui avait tiré dessus et poursuivi longtemps sans succès. Un autre chasseur de la tribu des Ouled-Orab, près de Jemmapes, Si-Mohammed-ben-Hadj, avait eu plus de chance, ayant tué près de 40 auparavant (vers 1830), un ours brun au Djebel-Alalah, entre l'oued Dèb (littéralement la rivière de l'ours) et l'oued Fendek. Un autre ours brun avait été blessé vers 1820 par un autre membre de la même tribu, Abd-el-Melek-ben-Berrhaïl, sur le versant sud du Djebel-Ghdir. Bourguignat rapportait même une anecdote :

    "Voilà à peu près un siècle, vivait, d'après M. le lieutenant Sergent, Sidi-Mansour, chef de la petite tribu de Beni-Guecha, campée au nord du Djebel-Ghdir. Ce chef ne payait pas d'impôts en argent au bey de Constantine, de qui il dépendait, mais il lui envoyait seulement, aux dires de ses descendants, en payement, des peaux d'ours, de lions et de panthères.
    "Ce Sidi-Mansour a été enterré tout près d'Oum-el-Dèboub."

    Dèboub est le pluriel de dèb, l'ours. Bourguignat notait d'ailleurs que la toponymie de la région montrait que l'animal devait être abondant à une époque récente, puisque l'on relevait notamment un ravin nommé Chabet-el-Dèb (ravin de l'ours) près d'Hammam-Meskhoutin ; un Guelaat-el-Dèbba (lieu fort de l'ourse) entre Bône et Guelma, qui aurait abrité une portée d'oursons ; un Oued-el-Dèb (rivière de l'ours) à Jemmapes, etc.
    Tradition, témoignages, toponymie, éthologie, écologie, paléontologie... tout confirmait la survivance récente d'ursidés dans le massif de l'Edough.

    Enfin, Bourguignat apportait sa propre expérience : la découverte d'ossements encore très frais (un médecin de ses amis les estimait à seulement 15 ans) et même le relevé d'empreintes de pas récentes dans la grotte.
    C’est quand il effectua la première exploration de la grande salle de la grotte, en compagnie de quelques soldats, de deux cheikhs et de membres de leur suite, que Bourguignat tomba en effet sur des empreintes singulières :

    "[…] à peu près à moitié de la descente je vis les Arabes s’accroupir et examiner le sol avec attention. Entre les rochers se trouvait, en cet endroit, une terre humide, noirâtre, vrai humus boueux. Dans cet humus, je vis de larges empreintes de pas, mais des empreintes si nettes, si bien modelées, si fraîches en un mot, qu’elles ne devaient pas avoir plus d’une heure ou deux de date.
    "La boue, repoussée par la pression du pied, formait tout autour des empreintes un bourrelet si tranché, qu’à son arête la terre, presque liquide, ne s’était pas encore affaissée sur elle-même, et que la gouttelette d’eau suspendue aux angles saillants n’avait pas eu le temps de s’écouler. La marche de l’homme ou de l’animal avait dû être gauche et pesante, car les pas avaient produit une profonde empreinte, et la boue, fortement comprimée, avait été fouettée de tous côtés.
    "A la vue de ces empreintes, il se produisit un grand émoi parmi mes Arabes. Leurs paroles se croisaient rapides et bruyantes. Les uns prononçaient avec vivacité le mot "dèb, dèb", que j’ai su, plus tard, vouloir signifier ours, mot qui, pour le moment, n’avait aucun sens. D’autres exprimaient, au contraire, l’avis que des maraudeurs, connaissant notre intention de visiter la caverne, avaient dû nous précéder pour nous voler, et ensuite nous massacrer. Le fait est que nous descendîmes toujours et que nous ne rencontrâmes âmes qui vivent, si ce n’est les débris de quelques chèvres ou de quelques moutons.
    "J’ai indiqué sur le plan, ainsi que sur la coupe en profil de la caverne, l’endroit exact des empreintes. On peut se rendre compte à quelle distance et à quelle grande profondeur je me trouvais de l’entrée, en ce moment. Aussi, plus je réfléchis et je me remémore ce que j’ai vu, plus je demeure convaincu que ces empreintes étaient celles d’un ours, dont nous avions dû troubler la quiétude en opérant notre descente.
   
"J’avoue que toute autre explication serait pour moi inadmissible."

     En 1875, le docteur Victor Reboud, dans une étude archéologique sur l'Algérie, revint sur les ours fossiles de la caverne du Djebel Thaya, pour évoquer à nouveau sa survivance récente :

    "La découverte d'ossements, relativement frais, ayant appartenu à une espèce de ce genre, est en plein accord avec la tradition encore si vivace dans les tribus des Zardezas. A l'époque où il remplissait à Jemmapes les fonctions de chef de bureau arabe, M. le capitaine Sergent a recueilli, au sujet de la disparition récente de l'ours, des renseignements du plus grand intérêt :
    "Au commencement de ce siècle [19ème siècle], l'ours était très répandu dans les montagnes situées au nord d'Azeba, entre le Saf-Saf et l'Oued el-Kebir. Il a peu à peu disparu de la contrée, jusqu'alors inhabitée, à la suite du refoulement des Ouled-Skikda vers Azeba, et des Radjeta sur l'Oued el-Kebir, par les Beni-Mehenna descendus de Collo sur le Saf-Saf. LesBeni-Mehenna ont gardé le souvenir d'un grand nombre de chasseurs qui ont passé leur vie à poursuivre le cerf et l'ours sur les crêtes couvertes d'arbousiers, comprises entre le Djebel ben-Alia et le Bou-Kseïba. Le plus célèbre d'entre eux est Ali-en-Nehal, des Ouled -Atïa ; on cite encore Ali-el-Tacha, des Ouichaoua ; Mohammed-ben-Chioukh et Taïeb-ben-bou-Renan, des Radjeta.
    "Il existe plusieurs dictons populaires qui rappellent le souvenir de l'ours : un tel est grossier comme un ours ; il grogne comme un ours ; il vit d'arbouses comme un ours ; des rivières, des rochers, des sources et même des arbres ont conservé le nom de cet animal : Oued-Deb, Guelaât-ed-Deb, Belout-ed-Debboub, Aïn-ed-Debba, etc., etc."

 

    Par la suite, on n'entendra plus que de vagues rumeurs sur l'homme qui a vu l'homme, qui a vu l'homme... qui a vu l'ours de l'Atlas. Alfred A. Pease, qui résida en Algérie en 1892-1896, en fit état en 1937 :

    "Il y avait encore des rumeurs sur des ours (Ursus crowtheri) dans l'Atlas occidental, mais bien qu'ils aient certainement existé dans la première moitié du siècle dernier, je n'ai jamais entendu dire qu'un ait été tué ou vu depuis que la région est devenue mieux connue avec la pénétration des Français au Maroc."

    De même, le docteur André Lopez, président de la Société d'Etudes des Sciences Naturelles de Béziers, recueillit de semblables rumeurs dont il me fit part en 1980, spécialement dans la région de Tétouan au Maroc : on remarquera que c'est justement dans cette région que Mr. Crowther abattit le spécimen qui a donné son nom à l'espèce.

    J'ai reçu en 2005 des informations sur une survivance encore plus tardive, de la part d'un étudiant kabyle, Dady Seter, qui a enquêté sur place auprès des personnes âgées dans le massif de Djurdjura et les forêts d'Akfadou. Dans un village, il put recueillir 5 témoignages remontant aux années 1940-1950, notamment dans un village du nom d'Ifigha où une femme survécut à une agression par un ours.

    "J'ai pu leur montrer quelques photos d'ours notamment à une vieille dame, qui me confirme que pendant la révolution, donc vers les années 1950, c'était en hiver, elle était en train de cueillir les olives avec un groupe de femmes et une ourse avec deux petits sont venus vers elles. Elles sont monté sur l'arbre et au bout d'un moment il les a quittées. D'après les photos que je lui ai montrées, il est de couleur marron brun, elle m'a dit qu'il était assez robuste."

     C'est justement en Kabylie qu'a été découverte, en 1976, une nouvelle espèce d'oiseau, la sittelle kabyle (Sitta ledanti), alors que l'on n'avait pas décrit une seule espèce nouvelle d'oiseau dans toute la région paléarctique (Europe, Asie centrale et septentrionale et Afrique du Nord) depuis un siècle ! Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, il est beaucoup plus difficile à un passereau qu'à un ours de rester inconnu, du fait que le premier, en volant dans les airs, révèle vite son existence. De plus, le cas des derniers ours brun dans les Pyrénées françaises montre que lorsqu'elle est au bord de l'extinction, cette espèce (comme d'ailleurs d'autres mammifères) adopte un comportement que l'on qualifie justement de "cryptique", autrement dit ces animaux se font encore plus discrets qu'à l'ordinaire.

 

La preuve par le carbone 14

        Malgré l'épaisseur et la cohérence du dossier de l'ours de l'Atlas, certains auteurs ont mis en doute la survivance d'ursidés en Afrique du Nord jusqu'aux temps historiques.
    Le baron Henri Aucapitaine, dans une communication à l'Académie des Sciences en 1860, rejeta l'existence d'ours en Afrique du nord. Ayant parcouru la région du Djurdjura en Algérie, il écrivait :

    "J'y ai acquis, non seulement par moi-même, mais en interrogeant les gens du sol, la certitude que l'ours n'existe pas dans les vastes et difficiles massifs composant les grande et petite Kabylie.
    "Les Berbers ont des noms spéciaux pour tous les mammifères […].
    "Seul l'ours n'a pas sa dénomination dans cet idiome mille fois séculaire ; on doit en conclure qu'il n'a jamais existé ; car, dans ce dernier cas, son nom s'y trouverait comme celui de bien d'autres animaux moins remarquables qui ne vivent plus dans le pays."

    De même, en 1932, le mammalogiste Angel Cabrera rejeta catégoriquement l'existence de l'ours de l'Atlas, comme le firent encore Kazimierz Kowalski et Barbara Kowalska-Rzebik en 1991. Il ne fallut attendre que sept ans pour apporter à ces derniers un cinglant démenti, et qu'enfin soit rendu justice à tous les auteurs, historiens, zoologistes et cryptozoologues, qui avaient défendu ce dossier. En 1998, Watik Hamdine, de l'Université de Tizi-Ouzou, et Michel Thévenot et Jacques Michaux, de l'Université de Montpellier, ont en effet publié dans les Comptes-Rendus de l'Académie des Sciences un article sur la datation au carbone 14 de restes osseux d'ours de petite taille d'une grotte du Djurdjura algérien : ils datent de 420 à 600 de notre ère, ce qui démontre de manière définitive la survivance d'un ours en Afrique du nord jusqu'aux temps historiques, et même au-delà de la période romaine.
    Voilà qui confirmait, après plus d'un siècle, la découverte par Bourguignat de trois mandibules de l'Ursus faidherbianus associées à une lampe romaine ou du sixième siècle.

    En 2007, Jacques Michaux et Michel Thévenot ont publié dans Mésogée, la revue du Muséum d'Histoire Naturelle de Marseille, de nouvelles datations au carbone 14 d'ossements d'ours du Maroc, montrant la persistance de ce mammifère jusque vers 778 de notre ère. Ce n'est que 22 ans plus tard qu'un "ours numide" était offert pour le couronnement de Charlemagne, une anecdote qui gagne ainsi en crédibilité.

     Et on conviendra que ces datations constituent, une nouvelle fois, une éclatante victoire pour la cryptozoologie !

 


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