(dernière mise à jour : 21 août 1999)

 

Systématique et cryptozoologie

    Que des millions (voire des dizaines de millions) d'espèces d'insectes restent à découvrir, voilà qui ne devrait pas choquer outre mesure les esprits les plus étroits. Mais qu'en est-il des animaux qui relèvent véritablement de la cryptozoologie ?

    La cryptozoologie a un caractère prédictif, elle suppose une connaissance de l'animal "inconnu" préalable à sa découverte officielle. Cette connaissance préalable se base surtout (quoique pas seulement) sur des témoignages d'observation. Il s'ensuit qu'une certaine taille est nécessaire pour qu'un non-initié ait simplement conscience d'observer un animal inconnu : supposons qu'un marin observe un poisson de la taille du doigt encore inconnu de la science, il ne s'y intéressera même pas, et n'étant pas spécialiste, sera même incapable de réaliser qu'il observe un animal inconnu ; en revanche, s'il aperçoit un poisson d'un mètre de long (qu'il soit connu ou inconnu), il est probable qu'il daignera lui prêter quelque attention ; et s'il observe une créature serpentiforme d'une vingtaine de mètres de longueur, il n'aura pas besoin de consulter un manuel de zoologie marine pour supposer qu'elle n'est pas encore répertoriée.
    On peut donc restreindre le champ d'investigation de la cryptozoologie, même si ce n'est pas une règle absolue, aux animaux ayant une taille généralement supérieure au chiffre rond d'un pied anglais (soit une trentaine de centimètres) : cette restriction permet de limiter le champ d'investigation de la cryptozoologie essentiellement aux vertébrés, et à quelques rares groupes d'invertébrés (tout spécialement les céphalopodes). D'un point de vue général, la cryptozoologie n'est donc pas concernée par les découvertes d'insectes -- ce qui ne veut pas dire que les cryptozoologues ne s'y intéressent pas, bien au contraire, d'autant plus qu'il existe une exception qui confirme la règle : la "prédiction" de l'existence d'un nouveau papillon (Xanthopan morgani praedicta), couronnée de succès après 42 ans de recherche !
    Bernard Heuvelmans, dans sa fameuse checklist des animaux inconnus relevant de la recherche cryptozoologique, dénombre environ 110 à 138 formes animales (Heuvelmans 1986), qui confirment cette prédominance des vertébrés, et notamment des mammifères :
- 73 à 84 mammifères
- 3 oiseaux
- 9 à 12 reptiles
- 1 ou 2 poissons
- 1 ou 2 vertébrés incertae sedis.
- 1 ou 2 mollusques
- 1 ou 2 autres invertébrés.
    De tels chiffres sont-ils raisonnables, au regard des découvertes d'espèces nouvelles dans les différents groupes concernés ? Pour y répondre, nous allons maintenant tenter d'évaluer le nombre d'espèces décrites par an chez les vertébrés.

 

Combien de nouvelles espèces par an ?

    Évaluer le nombre d'espèces nouvelles décrites par an relève presque de la "mission impossible". Plusieurs méthodes sont cependant envisageables pour tenter d'y parvenir.

    Une première méthode a été utilisée par Bernard Heuvelmans, le "père de la cryptozoologie", en 1983 : il a compilé, dans un article pour Cryptozoology, les estimations données pour les divers groupes d'animaux par plusieurs spécialistes depuis Linné (1758) jusqu'à nos jours (Heuvelmans 1983). Voici par exemple un tableau synthétique pour les vertébrés, tiré de cet article :

auteur
année
mammifères
oiseaux
reptiles
batraciens
poissons
Linné
1758
184
554
162
20
415
Cuvier
1817
386
765
212
27
1 031
Leunis
1850
2 067
7 000
1 100
400
8 000
Leunis & Ludwig
1886
2 300
10 000
2 500
1 000
9 000
Möbius
1896
3 500
13 000
3 550
1 450
12 000
Pratt
1911
3 500
13 000
3 500
1 400
13 000
Hesse
1928
13 000
28 000
5 461
2 858
20 000
Mayr
1946
3 500
8 600
3 900
1 600
18 000

    La traduction graphique de ces chiffres bruts fait apparaître des courbes aussi erratiques que le cours d'une action à la Bourse, le nombre d'espèces connues en fonction du temps étant tantôt à la hausse (ce qui est le résultat attendu), tantôt à la baisse, ce qui peut sembler paradoxal (figure 2). Cette contradiction s'explique par le fait que des travaux ultérieurs démontrent parfois qu'une espèce prétendument nouvelle a déjà été décrite auparavant par un autre auteur, ou encore n'est qu'une variété (sous-espèce) d'une espèce déjà répertoriée, ou tout simplement une différence individuelle.


Figure 2 : progression de l'inventaire des vertébrés (d'après Heuvelmans 1983).

    En lissant de manière empirique les courbes précédentes, Bernard Heuvelmans (1983) concluait que l'on découvrait chaque année en moyenne, au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, 11 espèces de mammifères, 3 ou 4 espèces d'oiseaux, 18 espèces de reptiles, une dizaine de batraciens, et une centaine de poissons.

    Les résultats de Bernard Heuvelmans ont été critiqués par Brussard et Wright (1984) sur le plan mathématique et statistique, mais ces derniers n'ont pas explicité leur propre méthode. Ce qui est certain, c'est que les courbes théoriques obtenues doivent être "croissantes", comme disent les mathématiciens : le nombre total d'espèces connues l'année N est toujours supérieur (ou à tout le moins égal) au nombre total d'espèces connues l'année N - 1. Tout le problème est de savoir comment lisser la courbe : selon que l'on suppose être en présence d'une progression linéaire, logarithmique, exponentielle, sygmoïdique ou autre, les résultats obtenus peuvent être assez différents. De toute manière, vouloir appliquer une pseudo-"rigueur" mathématique à ce type de données est intrinsèquement absurde, le nombre réel d'espèces connues variant certes à la hausse, mais de manière totalement irrégulière (il y a des années ou des périodes fastes en descriptions, et d'autres qui le sont moins) ; et donc, en toute rigueur, l'évolution du nombre d'espèces connues ne se réduit à aucune courbe mathématique simple.

    Une autre méthode qui vient à l'esprit, est de parcourir les volumes publiés annuellement par le Zoological Record de Londres, qui liste tout ce qui s'est publié en zoologie dans l'année considérée : il y a chaque année un volume pour les mammifères (Mammalia), un pour les Oiseaux (Aves), un pour les reptiles (Reptilia), un pour les batraciens (Amphibia), un pour les poissons (Pisces), un pour les mollusques (Mollusca), un pour les vers (Vermes), plusieurs pour les insectes (hyménoptères, lépidoptères, diptères, coléoptères...), etc. Ce travail de titan donne certes des résultats, mais ils sont faux par excès, car comme précédemment, des espèces "nouvelles" se révèlent parfois n'être pas valables après examen ultérieur (déjà décrites, déjà connues, etc.), et tombent en synonymie. Certains baptêmes zoologiques listés dans le Zoological Record sont même de la plus haute fantaisie, puisqu'on y trouve une description "scientifique" du marsupilami, animal imaginaire créé par l'auteur de bande dessinée belge Franquin, ou la fameuse étude sur les rhinogrades, ces délicieux mammifères qui progressent sur le nez imaginés par Harald Stümpke (1957) !

    Il vaut donc mieux se baser sur des monographies les plus récentes de spécialistes du groupe, qui font un tri salutaire et permettent de ne lister que ce qu'on peut considérer comme de "bonnes espèces" (good species). On dispose ainsi d'une seule base de données, ce qui permet de mesurer de manière fiable l'enrichissement de l'inventaire zoologique entre deux dates.

 
Mammifères Oiseaux Reptiles Batraciens Poissons

 

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